Les Chroniques de l'Imaginaire

L'île Réalité - Menéndez Salmón, Ricardo

Le Narrateur est un homme vivant dans le Système à l’heure de la « Nouvelle Histoire » qui a succédé au monde que nous connaissons. Le Système est piloté par le Dé, lieu ou entité mystique dont la nature est inconnue, et est organisé en plusieurs îles. Ses habitants, comme le Narrateur, sont les Originels tandis que les personnes vivant en dehors sont purement et simplement appelés les Étrangers. 

Le Narrateur assure des tâches quotidiennes routinières pour le Système dans une station météorologique sur une des côtes de l’Île Réalité. Peu à peu, ses habitudes se trouvent perturbées par des réflexions de plus en plus philosophiques et par la manifestation étrange d’inconnus aux abords de la station.

Le livre se découpe en trois parties, trois styles de narration, trois lieux différents. Dans la première partie, le style est haché et très aride. Nous sommes en présence du « premier carnet » du Narrateur qui écrit à la troisième personne du singulier et se surnomme lui-même le Narrateur. La seconde partie constitue son second carnet et est cette fois écrite dans un style plus littéraire et travaillé, à la première personne du singulier. La troisième partie, son troisième carnet, est à la deuxième personne du singulier et adopte un rythme plus rapide et incisif. La dernière partie, la quatrième, est la plus énigmatique et repasse à la troisième personne du singulier sans que j’aie pu vraiment déterminer s’il s’agissait d’un quatrième carnet, si on avait toujours le point de vue, peut-être externe cette fois, du Narrateur ou celui d’un autre personnage.

Cet ouvrage est clairement présenté comme un conte philosophique. Je les apprécie généralement mais j’ai éprouvé de grosses difficultés de compréhension à la lecture de celui-ci. Je crains que, malgré mes études supérieures en sciences sociales, ma culture « classique » ne soit pas assez solide pour saisir la multitude de références ou peut-être même d’allégories présentes dans ce récit. Rien n’est expliqué clairement, tout est mouvant. On croit avoir deviné quelque chose et tout est remis à plat à la partie suivante.

Le nom même d'Île Réalité est-elle une référence à l’Île Utopie (de Thomas More) ? Est-ce qu’on nous parle de totalitarisme ? Est-ce qu’on nous parle de religion ? Est-ce qu’on nous parle d’essence de l’être humain, d’histoire, de philologie, de crise migratoire, etc. ? J’aurais apprécié d’être un peu plus guidée.

Le « Narrateur » intègre des citations provenant d’écrits existants dans la monde réel (Balzac, Céline, Goethe, Nietzche…) sans les attribuer à leurs auteurs respectifs. Il faudra le savoir de soi-même ou attendre la dernière page pour avoir une liste – dissociée des citations présentes dans le texte – des auteurs auxquels il s’est rapporté. Entre tous ces changements de mode de narration, ces réflexions philosophiques obscures pour le quidam et ces références littéraires déguisées, la lecture de l’Île Réalité est laborieuse, avec l’impression d’être intellectuellement limité, ce qui n’est jamais agréable.

Il faudrait lire ce livre lentement, en se ménageant des pauses pour faire des analyses de texte. Ce n’est pas exactement mon mode de lecture habituel lors de mon temps libre ou celui que je recherche.

Si vous êtes doté d’une solide culture générale, que vous avez du temps devant vous pour soupeser les différents concepts maniés par l’auteur et que vous aimez les contes philosophiques, ce livre devrait beaucoup vous plaire !

Si vous aimez réfléchir mais pas trop fort quand même, tournez-vous vers des contes philosophiques plus traditionnels et qui n’en demeurent pas moins passionnants (ceux de Voltaire, Diderot ou More par exemple).