Les Chroniques de l'Imaginaire

Les jardins statuaires (Cycle des contrées - 1) - Abeille, Jacques

De passage dans le pays des jardins statuaires, un voyageur décide de coucher par écrit ses étranges découvertes. À la suite de son guide, il s’aventure partout dans cette contrée mystérieuse où des statues sont cultivées avec soin dans de grandes demeures de pierre par des hommes jardiniers pendant que leurs femmes, maîtresses des tissus et pourvoyeuses de nourriture, demeurent cachées dans des labyrinthes végétaux. La beauté et la poésie des statues se mêlent à la ségrégation et aux cruelles coutumes de leur peuple pourtant si hospitalier à l’égard des visiteurs. 

Et à peine le voyageur commence-t-il à comprendre ces coutumes que déjà le pays semble inexorablement promis à de grands changements. La rumeur dit qu’un jeune jardinier se serait enfui de son domaine pour gagner les terres sauvages du Nord et qu’il rassemblerait là une armée susceptible de tout détruire sur son passage.

Quel roman ! Le style de narration est digne d’une histoire fantastique du XIXe siècle. À la première personne, notre énigmatique voyageur nous conte ses péripéties avec une plume volubile et imagée. J’ai à certains moments pensé à Alexandre Dumas, par exemple à son recueil des Mille et Un Fantômes. La posture du voyageur et sa découverte d’une société et de ses limites pourra également faire remonter le lecteur un peu plus loin dans le temps et rappeler certains ouvrages des Lumières, comme les Lettres Persanes de Montesquieu. C’est déjà dire toute la beauté de cet ouvrage de Jacques Abeille qui amène immédiatement à l’esprit les grands noms de la littérature française ! 

Pourtant, si le style d’écriture est joliment suranné, les enjeux évoqués dans ce livre de 1982 restent actuels. La question de la répartition des tâches entre hommes et femmes en est l’exemple le plus criant. On peut choisir de se plonger dans des réflexions sur le statut de l’étranger, l’altérité, l’immobilisme social ou décider de rester à la surface des choses et se laisser porter par les aventures du protagoniste.

La densité du récit, ses dialogues touffus et son rythme assez lent risquent de décourager certains lecteurs et ce d’autant plus que rares sont les personnages à être nommés. Peut-être l’ouvrage aurait-il gagné à un être un tantinet plus court. Qu’à cela ne tienne ! C’est aussi ce qui fait la singularité et le charme de l’ouvrage. J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cet univers avec le voyageur. 

Je conseille ce roman à tous les amoureux d’univers poétiques, aux amateurs de contes philosophiques, à tous ceux adeptes de belle écriture mais aussi, plus largement, aux lecteurs de fantasy qui n’ont pas peur de s’immerger dans une œuvre un peu différente des autres.