Janvier 1994. La journée commence de façon bien particulière dans la prison de Tihar, à Delhi, en Inde. Des autres prisonnières aux gardiennes, on s'empresse de demander à une détenue, Phoolan Devi, d'allumer la radio. Pour la prisonnière en question, c'est la stupeur et les larmes qui viennent bien vite, lorsqu'elle apprend qu'elle devrait bien vite être libérée, suite à une décision politique...
Alors, la jeune femme se souvient de sa vie, lorsqu'elle avait quelque chose comme neuf ans, vingt ans plus tôt.
La jeune Phoolan Devi n'est pas destinée à avoir une vie facile, elle qui est née Mallah, de la caste des Shudras. Cette caste est une des plus basses en Inde, car c'est celle où on se destine à être paysan ou serviteur. Rien à voir avec la caste des Kshatriyas, celle où on devient gouvernant ou guerrier.
Pour l'heure, Phoolan Devi travaille certes dur, mais elle semble heureuse, entourée de sa famille. Elle a des parents qu'elle aime et c'est réciproque, et elle est aussi très proche de sa jeune sœur, Choti. L'enfance se passe bien, si ce n'est cette rivalité qui oppose sa famille pauvre avec une autre famille, plus riche. Le père de Phoolan Devi a été roulé par Mayadin, et il ne s'est jamais battu pour récupérer ses terres et ses richesses. Un état de fait que Phoolan Devi aura de plus en plus de mal à supporter, au fur et à mesure où elle va grandir.
C'est deux ans après que le conseil du village a donné raison à Phoolan Devi que Mayadin va se venger. Et cela va se passer par le mariage de Phoolan, avec un homme bien plus vieux qu'elle, alors que cette dernière n'a que onze ans. Pour Phoolan, cela ne change pas grand chose, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'elle ne retournera plus jamais voir ses parents. Phoolan est ainsi prisonnière de son mari, un homme qu'elle n'a pas choisi, et qui va la violer alors qu'elle n'aura que onze ans. De quoi se méfier des hommes, et à vie, à présent...
Claire Fauvel nous compte ici l'histoire d'une jeune Indienne. Le livre est un roman graphique, qui se veut biographique, même si l'auteure prend soin de prévenir que certains passages ne sont pas empreints d'une certitude absolue. Qu'à cela ne tienne, à un moment où on parle de plus en plus des droits des femmes, ce one-shot monstrueux, qui paraît chez Casterman, tombe à point nommé.
Ainsi, en tant que lecteur, on se retrouve littéralement happé par la grâce et le charme qui se dégagent de ce livre. Les traits sont d'une grande finesse, rendant les visages, notamment féminins, parfaitement gracieux. Un style qui fait penser, même s'il est éloigné, au trait d'un dessinateur comme Cyril Bonin (Amorostasia, La belle image, La délicatesse...).
La douceur des traits ne signifie pas pour autant une histoire trop lisse. Bien au contraire. Claire Fauvel s'attache à nous rendre son personnage principal attachant, tout en faisant montre d'une grande pudeur, y compris dans des scènes insoutenables. Assister au viol de Phoolan Devi par son premier mari est très difficile, et cela ne peut que nous renvoyer à tout ce qu'on entend encore aujourd'hui sur le sort de certaines femmes en Inde.
Phoolan Devi : Reine des Bandits est un one-shot dont on ne ressort pas indemne. Le livre est l'occasion de suivre et connaître un personnage qui m'était jusque là parfaitement inconnu, et force est de constater que c'est un véritable tort, surtout lorsqu'on parle de la condition des femmes dans un immense pays comme l'Inde et son système de caste très complexe, qui perdure encore de nos jours.
La vie de Phoolan Devi ne se résume pas qu'à une sombre histoire de viol. C'est aussi le combat d'une femme qui parviendra à s'en sortir, c'est surtout l'incroyable chemin qu'elle parcourt, dans une vie complètement hors norme, comme a pu être la vie de Nelson Mandela, ou encore de Aung San Suu Kyi, dans des registres tout de même bien différents.
Un livre coup de poing, qui prend le temps de raconter cette histoire, et qui est à faire découvrir au plus grand nombre.