Les Chroniques de l'Imaginaire

Le silence de la Cité - Vonarburg, Elisabeth

Dans la Cité qui se dépeuple, Paul est l'un des plus jeunes, et il est l'un des rares, avec Richard Desprats, à se soucier de ce qui se passe Dehors. Certains des humains qui y survivent, péniblement, après les catastrophes qui ont transformé le visage de la planète et en ont rendu inhabitables des territoires importants, semblent avoir développé des capacités intéressantes. A partir de leurs gènes, sur lesquels il mènera ses propres recherches, Paul réussira à créer un bébé, qu'il nommera Elisa. Mais la jeune Elisa a ses propres aspirations, inattendues, et, du point de vue de Paul, importunes. Et elle a des capacités qu'il n'avait pas non plus prévues, et qu'il mettra du temps à reconnaître.

A l'Extérieur, il naît cinq femmes pour un homme, la vie est dure, et les hommes n'hésitent pas à assujettir les femmes, de façon plus ou moins brutale. Jusqu'au jour où elles ont l'occasion de s'armer.

Si vous avez lu Chroniques du Pays des Mères, et que le dernier chapitre vous a laissé perplexe, ce roman est fait pour vous ! En effet, il décrit ce qui s'est passé avant : d'où vient le nom de Béthély, que sont les souterrains, la vie quotidienne au temps des Harems, d'où vient le terme "juddite"... Et Garde.

Si vous ne l'avez pas lu, ce roman est fait pour vous aussi ! C'est d'ailleurs un bon point d'entrée dans l'univers de Elisabeth Vonarburg, du fait qu'il peut se lire seul, et qu'il est court, ce qui n'est pas fréquent chez l'autrice québécoise. Par ailleurs, on y trouve ces thèmes familiers que sont la longévité, la métamorphose, la réflexion sur les rapports créateur/créature, et sur la différence. Bien sûr, il est plus nettement féministe que la plupart de ses romans, mais sans tomber dans les excès caricaturaux de certains des romans de Joanna Russ, par exemple, qui sont ses quasi-contemporains. L'article qui évoque à son propos La main gauche de la nuit, d'Ursula Le Guin, n'a pas totalement tort, en ce qu'on y trouve la même interrogation sur une définition de l'identité personnelle qui serait indépendante du genre, et qui le précèderait, ou en serait le soubassement.

Pour être plus court que les autres romans de l'auteure, il n'est pas pour autant très facile à lire, avec ces va-et-vient constants dans le temps qui constituent le récit, surtout dans la première partie. La suite est plus linéaire, si la multiplicité des personnages apporte ses propres difficultés. C'est un roman où l'équilibre entre les moments d'action et les temps plus réflexifs est très réussi. En revanche, quelqu'un qui y chercherait une description détaillée d'un monde post-apocalyptique serait déçu, car ce n'est pas spécialement le propos de l'auteure ici (il vaut mieux lire ses nouvelles, notamment celles du non-cycle de Baïblanca), et on a fait infiniment plus précis récemment dans ce sous-genre particulier.

Et une fois que vous l'aurez lu, il ne vous restera plus qu'à vous (re)plonger dans Chroniques du Pays des Mères, avec un œil plus averti, qui vous permettra de n'y rien manquer.