Séverine est une étudiante en lettres modernes, sur Paris. On la découvre au beau milieu d'une soirée, à côté de son petit copain, semblant s'ennuyer alors que les conversations de geeks s'enchaînent autour d'elle. Les étudiants parlent de langage de programmation, de séries, la plupart restent accrochés à leur téléphone, et n'ont, il faut bien le dire, pas grand chose d'intéressant à raconter.
En dehors des cours et des soirées, il arrive à Séverine de faire nounou, le soir, histoire d'arrondir un peu les fins de mois. Et justement, ce soir, c'est la jeune Éva que gardera Séverine, alors que ses parents seront de sortie. Mais les choses ne se dérouleront pas franchement normalement : entre le père d'Éva qui rentre plus tôt après une belle dispute avec sa femme, et Éva qui est malade et qui vomit tout ce qu'elle peut sur Séverine, voilà une soirée dont l'étudiante se souviendra ! Elle en partira d'ailleurs avec un joli chemisier, que le père d'Éva lui prête pour se changer, et qu'elle lui rendra, à l'occasion...
Le joli vêtement en soie provoque un effet immédiat sur le jeune corps d'étudiante de Séverine. Elle ne le remarque pas tout de suite, mais le regard des hommes, adultes, va changer avec juste ce vêtement qui ne lui appartient pas. Cela va commencer en cours. Alors qu’Éva a oublié le plan de ce qu'elle a à dire sur une œuvre qu'elle a lu dernièrement, elle va réussir à captiver l'attention de son professeur, ainsi que de tous les garçons de son amphi. Un effet assez impressionnant pour une jeune fille qui, jusque là, n'avait pas du tout l'habitude d'être sur les feux de la rampe...
Peu à peu, la jeune fille auparavant presque terne, qui passait presque inaperçue, se rend compte de son nouveau pouvoir d'attraction. Ainsi, elle n'est plus la même non plus dans les soirées avec ses amis et son copain. Ce dernier continue à s'intéresser plus aux séries américaines et aux jeux vidéo qu'à Séverine. Une relation qui ne pourra bientôt plus durer, forcément. D'autant que Séverine se rend de plus en plus compte de l'effet qu'elle fait, jusqu'aux adultes.
C'est avec un grand plaisir que l'on suit la transformation de Séverine, et son passage de l'adolescence à l'âge adulte. Presque une transformation. Et il fallait bien pour cela les deux cent planches et tout le talent de Bastien Vivès pour faire retranscrire cela aux lecteurs. L'auteur n'en est d'ailleurs pas à sa première histoire où il suit une étudiante, après le troublant et magnifique Dans mes yeux, paru en 2009 dans la collection KSTR de Casterman.
Séverine est ainsi un personnage immédiatement attachant, même si elle paraît, volontairement bien entendu, un peu terne au premier abord. Cela fait totalement partie du récit, et il faut bien cette première impression, dont le jeu consistera à la balayer, progressivement. En cela, les traits tout en finesse de Bastien Vivès vont considérablement aider, avec plusieurs passages marquant, notamment celui où la jeune femme enfile pour la première fois son chemisier. Il y a de l'innocence, de la candeur, et l'auteur parvient à retranscrire tout cela, avec juste quelques traits, quelques silhouettes, magnifiquement dessinées.
Attention, le livre ne sera pas à mettre entre toutes les mains : si Séverine se transforme physiquement, c'est aussi le cas dans ses intentions, et cela conduit à des scènes qui ne seront pas à mettre entre les mains des enfants. Des scènes qui sont, entre parenthèses, parfaitement amenées, et dont on a parfois presque du mal à savoir s'il s'agit de songes ou de réalité.
Le chemisier est le nouvel album de Bastien Vivès, à paraître chez Casterman. C'est un album pleinement maîtrisé de bout en bout, presque une leçon de ce qu'il est possible de faire en bande dessinée.
