Les Chroniques de l'Imaginaire

Solaris (Solaris - 207)

Le numéro d'été de la revue est toujours excitant, puisqu'il contient les nouvelles lauréates du Prix Solaris, et du Prix Boréal d'écriture sur place. D'ailleurs, dans ce dernier cas, le plaisir cette année était encore plus riche, puisqu'il y avait deux ex-aequo dans la catégorie des auteurs montants. Voici mon avis détaillé :

La déferlante des mères, de Luc Dagenais : Celles qui n'en pouvaient plus de voir périr les enfants qu'elles avaient portés à cause des gouvernements des hommes ont finalement décidé de prendre les choses en main. Une autre édition du Prix amplement méritée ! Cette nouvelle est superbe, tant sur le fond, une réflexion sur la maternité, et la revanche du "faible" sur le "fort" (avec tous les guillemets qui s'imposent en l'occurrence !), que dans la forme, avec un style... déferlant, justement. Le monde et les personnages mis en place sont vivants, crédibles, complets, avec juste ce qu'il faut d'ambiguïté, surtout sur la fin... Superbe, vous dis-je !

Le régal gelé, de Mariane Cayer : Quelle aubaine que ces fruits, pour ces petits voleurs que sont les singes volants ! Cette fort belle nouvelle courte, lauréate ex-aequo du Prix Boréal d'écriture sur place, catégorie auteurs montants, est fine, poétique et originale. Je garderai certainement en mémoire le nom de son auteure.

Tombe la neige, de Clémence Meunier : Le petit renard de neige piste plus qu'il n'aurait imaginé... Cette autre charmante nouvelle, onirique et originale, dans un univers de fantasy légère, a obtenu ex-aequo le Prix Boréal d'écriture sur place, catégorie auteurs montants.

Frill, l'avatar au long museau, de Hugues Morin : A installer un assistant de maison électronique, on peut avoir des surprises, et c'est ce qui arrive au narrateur de ce texte. Avec les mêmes éléments de départ que les textes précédents, bien sûr (la neige, la couleur rouge, un animal ou des animaux), cette nouvelle de SF très réussie et pleine d'humour, qui a valu à son auteur le Prix Boréal d'écriture sur place, catégorie auteurs pros, développe une réflexion sur l'existence (autonome ?) de nos créations virtuelles. Comme un lointain écho de Clarke ou Heinlein...

Trahisons, de Patrick Loranger : Dans un univers dystopique, une révolution couve, et trois jeunes loubards rencontrent un de ses recruteurs. C'est là un texte solide, qui décrit un monde crédible, même s'il n'est pas d'une grande originalité.

Un vœu sur l'Araignée, de Michèle Laframboise : Dans cet habitat spatial à lla recherche d'une planète habitable depuis bien trop longtemps, les ados restent des ados, avec leurs propres rites de passage. L'univers où se déroule la nouvelle est très bien décrit, tout en finesse. Un texte aussi beau et original que les précédents de cette écrivaine au talent confirmé.

Couleurs fantômes, de Derek Künsken : Quelque temps après la mort de sa tante Nicole - la réprouvée de la famille ! -, Pablo, le fantôme qui lui était attaché, s'est mis à hanter Brian. Et être hanté ne facilite pas la vie sociale. Cette nouvelle est une excellente surprise, du fait que c'était mon premier contact avec cet auteur : le thème est original, c'est joliment raconté, plein d'humour avec de vrais personnages. L'une de mes nouvelles préférées.

Voyage en pays intérieur, à propos d'Ursula Le Guin : Dans ce bel hommage rendu à l'écrivaine décédée en début d'année, Elisabeth Vonarburg rappelle les caractéristiques principales du style et de la personne de Le Guin, et évoque l'importance qu'a eue Le Guin sur elle, en tant que femme écrivaine, mais aussi tout simplement en tant que lectrice de nos genres préférés.

Alors qu'ils pourraient sembler a priori incompatibles, Mario Tessier, dans ses Carnets du Futurible intitulés Le Bouddha dans la machine, ou le dharma de la science fiction, montre que le bouddhisme et la SF ne sont pas forcément si éloignés, ou que du moins plusieurs auteurs du genre, et non des moins connus, d'Arthur C. Clarke ou Frank Herbert à Kim Stanley Robinson, ont assez connu le bouddhisme pour y faire référence, explicite ou non, dans leur œuvre. Et bien sûr, ce thème impliquait de citer Esther Rochon, grande écrivaine québécoise malheureusement peu connue en France. Les curieux sont invités non seulement à lire Solaris, mais aussi à jeter un coup d’œil à notre chronique de son roman Lame, premier volume de son hexalogie Les Chroniques infernales.

La critique par ce Littéranaute distingué qu'est Jean-Louis Trudel de l'essai de Patrick Guay m'a remis en mémoire le nom de Jacques Spitz, dont j'avais lu une novella dans Chasseurs de chimères, cette superbe anthologie de textes "oubliés" datant précisément de cette époque, amoureusement collationnés par Serge Lehmann il y a... oulà ! si longtemps que ça ? Je suggérerais bien à la bibliothèque l'achat de cet ouvrage précurseur, du moins est-ce à souhaiter.