Serge Dougarry est un ancien présentateur télé vedette, qui a connu son heure de gloire en présentant des émissions sur les créatures des abysses, notamment ce monstre mythique que l'imaginaire collectif appelle le kraken. Aujourd'hui, l'ex présentateur passe le plus clair de son temps à ruminer, souvent un verre d'alcool à la main, devant les enregistrements de ses anciennes émissions.
Mais même s'il ne le sait pas encore, Serge est sur le point de reprendre de l'activité, en recevant la visite de Damien, un étrange garçon qui vient d'un village de pêcheurs. Damien est le seul survivant d'un naufrage qui a coûté la vie à son père et à son frère, ainsi qu'à une bonne partie des marins de son village. Damien vit dans un monde peuplé de bandes dessinées et d'imaginaire, et il est persuadé que le kraken existe réellement...
Et c'est la mère de Damien, Adèle, qui persuade Serge de faire semblant de croire ce que raconte ce dernier fils qu'il lui reste. Elle ne veut pas qu'il sombre dans la folie, et la présence de cet ex animateur télé devrait pouvoir grandement l'aider. Alors, Serge arrive dans le village de pêcheurs en question, pour y voir que Damien y est sacrément persécuté par la population locale. L'enfant est considéré comme anormal, et c'est presque de sa faute si beaucoup de femmes du village sont aujourd'hui veuves...
Une situation que Serge a bien du mal à accepter... Mais les tensions vont encore s'aviver lorsque des corps sans vie vont encore être retrouvés dans les flots. A cela se mêle aussi la situation économique locale pour le moins catastrophique. Les chalutiers reviennent le plus souvent les filets désespérément vides et, encore une fois, ce serait rapidement de la faute de ce damné Damien, qui a survécu seul à un naufrage, alors même qu'il s'agissait de sa toute première sortie en mer...
C'est tout droit d'Italie que provient Kraken, ce one-shot scénarisé par Emiliano Pagani et dessiné par Bruno Cannucciari. L'album a remporté le prix du meilleur album italien, au festival Romics de Rome, en 2018. La première chose qui frappe en ouvrant l'album, c'est cette atmosphère graphique. Tout est dépeint avec des tons verts et gris : de quoi mettre en valeur les expressions, des visages dérangés, des moments dramatiques vécus sur un petit port sans espoir, en bord de mer.
Et puis, il y a ces personnages, tous souvent cassés par un passé trop lourd à porter. Des personnages fragiles, qui ne sont que plus attachants, au fur et à mesure que les pages se tournent. Emiliano Pagani maîtrise parfaitement son récit, les découpages audacieux aident parfaitement pour insuffler un excellent rythme, et la tension monte crescendo dans un album qui promet un final surprenant.
Du côté graphique, les traits de Bruno Cannuciari ont de la personnalité. Il y a là une belle signature graphique, originale. Les expressions des personnages sont travaillées, la plupart des marins ont de la gueule, et le lecteur se retrouve littéralement embarqué dans une histoire où la mer est importante, presque un personnage à part entière, qui renfermerait le fameux kraken.
Ce Kraken est franchement une belle réussite, un concentré de noirceur, dans le bon sens du terme, parfaitement maîtrisé.