Les Chroniques de l'Imaginaire

Boudicca - Del Socorro, Jean-Laurent

Dans le Rêve, dans la Paix, le Romain que rencontre Boudicca lui donne son poignard. Dans la réalité, la main-mise des Romains sur l'île qu'ils appellent Brittannia se fait de plus en plus lourde à mesure que le temps passe. Par ailleurs, la mère de Boudicca, morte en lui donnant naissance, portait le nom de la déesse de la guerre, Andraste. Les augures étaient donc clairs : la petite Boudicca (nom qui signifie Victoire) serait une reine guerrière. Même si son époux Pratsutagos estime à peu près impossible de lutter contre la machine guerrière de Rome, et consent même à ce que les Icènes soient désarmés, Boudicca ne peut supporter cet affront. Malgré le jeune âge de ses filles, elle part rejoindre Caratacos, qu'elle connaît depuis son enfance, et qui, avec ses Silures, mène une guerrilla efficace contre leurs envahisseurs.

Tous les lecteurs intéressés par l'Histoire ont sans doute entendu parler de Boudicca, sous le nom de Boadicée, comme d'une reine guerrière qui a, pour un temps, lutté victorieusement contre la colonisation romaine, même si elle est beaucoup plus connue, assez logiquement, en Angleterre qu'en France. Toutefois, l'angle de vue choisi par Jean-Laurent Del Socorro est intéressant, en ce qu'il laisse le détail de sa campagne militaire la plus connue aux historiens, pour se pencher sur ce que ces derniers ignorent, c'est-à-dire sa vie personnelle.

Il se penche donc, dans son roman, sur son rapport d'amour frustré à son père et sur ses difficultés à parler, qu'il met en relief habilement en faisant d'une muette le plus grand amour de la reine, et son image miroir. On y voit aussi une femme qui est d'abord et avant tout une reine, qui comprend différemment de son ancien modèle Cartimandua son rôle de dirigeant de son peuple. Ce point est d'ailleurs un autre des centres d'intérêt de ce roman : on y voit, comme en creux, la différence entre la place des femmes dans la culture romaine, où une reine n'est rien d'autre que la femme du roi, et perd toute validité à la mort de celui-ci, et dans la culture celte. En parlant de place des minorités, toutefois, il est à noter que cette dernière écarte du pouvoir toute personne dotée d'un handicap, fût-il aussi léger qu'un bégaiement.

Mais pour en revenir aux femmes, les différents personnages féminins en montrent des facettes tout aussi diverses, en passant par la figure absente de la mère, d'Andraste la morte à Boudicca partie guerroyer, d'Ysbal, la guerrière aux trois maris, à la douce Jousse. Ce personnage est bien d'ailleurs la seule touche de douceur de cette histoire toute imprégnée de violence, comme la société, et le temps, qu'il dépeint.

Très différent de Royaume de vent et de colères, le précédent roman de ce jeune auteur, Boudicca est néanmoins un roman très intéressant et plaisant à lire, qui ne fait que confirmer le talent de Del Socorro.