Les Chroniques de l'Imaginaire

La balance et le sablier (Les pierres et les roses - 3) - Vonarburg, Elisabeth

A leur arrivée à Tolosà, Briann et Guillem mettent en place l'école de combat et les gardes royaux "spéciaux" demandés par le roi Sanche. Étant donné l'incertitude des temps, l'école attire un bon nombre d'élèves, dont Andréane, belle-fille d'Isaac Jakobsen, au grand dam de ce dernier. Inévitablement, Rébecca, revenue de Montpellier à cause des rumeurs de guerre, apprend la présence à Tolosà de Guillem et de Briann. D'abord furieuse et troublée de savoir Briann non seulement en vie mais à proximité, elle s'y apprivoise petit à petit.

Les gardes mis en place pour protéger les Royaux vont très vite prouver leur utilité, en déjouant plusieurs tentatives d'assassinat, et le duc de Barcelona aide à comprendre à quoi ils ont affaire : des mages renégats surpuissants qui sont des dissidents de la secte hérétique des Cataris.

Dans ce tome, l'action guerrière est bien présente, et surtout sur le plan psychique, même s'il s'y trouve également des batailles de belle ampleur dans le monde physique. L'impression de menace constante, surtout, est particulièrement bien rendue. L'effet de cette atmosphère de guerre sur Briann, ramené à ses vieux démons et aux souvenirs de la Croisade, est bien décrit, et explique enfin complètement l'évolution du personnage. C'est le premier tome où on voit certains évènements du point de vue de Briann, ce qui contribue à expliquer son évolution depuis son enfance, et éclaire son intériorité. Par ailleurs, la présence d'Arwèn dans l'intrigue donne au personnage une plus grande réalité concrète, et un lien plus intime avec Angresay, tout en permettant au lecteur de la séparer véritablement, enfin, de la Morrigane.

De manière générale, ce roman est un bonheur pour tous les lecteurs qui attendaient avec une impatiente curiosité la révélation des mystères restés en suspens. Et la plupart auront, je pense, une ou deux surprises de taille. Cela impose toutefois d'avoir bien en tête ce qui s'est passé dans les tomes précédents... ou de les avoir sous la main pour relire des passages plus capitaux pour l'intrigue qu'ils n'avaient pu sembler.

La Croisade contre les Albigeois a été peu exploitée en fantasy proprement dite, même si certains romans historiques flirtent avec le genre, en imaginant des élixirs de longue vie, des secrets gardés pendant des générations jusqu'à nos jours, le Graal, etc. Bien sûr, on songera à La chanson d'Arbonne, de Guy Gavriel Kay, mais c'est le seul que j'aie trouvé qui soit vraiment connu. Par ailleurs, même si un lecteur connaissant l'histoire y pensera nécessairement, du fait notamment de l'importance dans l'univers décrit par l'auteur de la musique, de la poésie, et des femmes, sans compter bien sûr l'invasion par un royaume du Nord d'un pays du Sud, l'histoire est située dans un univers totalement différent, et il y a finalement assez peu de points communs avec notre Histoire.

Cette trilogie d'Elisabeth Vonarburg re-visite cette Croisade comme le reste de notre univers : avec un pas de côté. Ce n'est pas notre planète exactement, ce n'est pas notre Histoire... et bien sûr ses Cataris ne sont pas les Cathares. C'est à la fois fascinant, comme je l'avais dit dans ma chronique de La Voie des pierres, et troublant, par le mélange entre proximité et étrangeté, cette dernière étant à comprendre aussi au sens d'extranéité. Et bien sûr, ce trouble que j'ai ressenti est, tout autant que la fascination, à mettre au crédit de l'auteure.

En pleine possession de son art d'écrivaine, elle a créé non seulement un univers, mais aussi des personnages auxquels nous pouvons croire, et nous attacher. Le style est trompeusement simple, au sens où il n'y a pas vraiment de mots recherchés ou très spécialisés, comme on peut en trouver chez Jean-Philippe Jaworski par exemple, mais où il demande néanmoins une attention soutenue, car tous les détails comptent. Chacun d'entre eux, comme la plus petite tesselle d'une mosaïque, contribue à la création de l'univers et des personnages.

Un lecteur distrait, pressé, et qui balaierait certaines de ces tesselles comme des longueurs inutiles, se trouverait ensuite obligé de faire amende honorable en découvrant où l'auteure voulait en venir, et de relire depuis le début la totalité de la trilogie. C'est donc une œuvre plus exigeante qu'il n'y paraît, mais pour le lecteur en quête d'histoires bien écrites et originales, c'est un pur bonheur, en plus d'être une lecture qui s'impose.