Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Sanctuaire ailé (Mémoires, par Lady Trent - 5) - Brennan, Marie

Lady Trent a de bonnes raisons de ne pas aimer le Yélang ni ses habitants. Toutefois, lorsque qui que ce soit, Yélangois compris, lui dit avoir découvert une espèce inconnue de dragon, elle y prête attention. Et même, elle ne rêve que d'aller sur place pour voir de ses propres yeux. Le problème est que la place en question est sans doute la plus inaccessible qui soit : située au Mrtyahaima, c'est-à-dire sur le toit du monde, et de surcroît dans une zone que se disputent plusieurs pays, dont le Yélang, il est a priori hors de question de s'y rendre.

Mais Lady Trent a une grande expérience quand il s'agit de réaliser ce qui est impossible, et comme précédemment elle obtiendra la coopération de l'armée, qui a ses propres raisons d'envoyer des aéronefs dans cette zone mal cartographiée et disputée. La voilà donc partie, avec Suhail, son mari, Sir Tom Wilker, son ami et collègue depuis leur toute première expédition, Thu Phim-lat, le khiam siu qui connaît le site puisque c'est lui qui lui a apporté l'information, et un officier scirling, le lieutenant Chendley. Le climat, en revanche, va se montrer peu coopératif, jusqu'à ce qu'une avalanche fournisse à Lady Trent l'occasion de faire une découverte infiniment plus spectaculaire qu'elle ne l'avait imaginé, même dans ses rêves les plus fous.

On retrouve dans ce roman les éléments caractéristiques de la saga : mise en place d'une expédition scientifique dans des conditions difficiles, cette fois pour des raisons à la fois géographiques et politiques, frustrations inévitables et étude, faute de mieux, d'une autre espèce de dragons que celle pour laquelle on est venu, en l'espèce les piauleurs, mésaventures diverses, avant que l'action véritable ne commence, vers la grosse moitié du roman. De cette action, je ne dirai rien, pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur. Car si la forme et le rythme de ce cinquième opus rappellent fortement ceux des romans antérieurs, son originalité par rapport aux quatre précédents en fait une rupture bienvenue, et la fin parfaite pour cette série. De bout en bout, celle-ci aura été originale, même en rappelant les aventures d'Amelia Peabody, dans les romans policiers écrits par Elizabeth Peters, servie par une écriture à la fois élégante et pleine d'humour.

Le monde mis sur pied par Marie Brennan est une uchronie fort savante en ce sens qu'elle est travaillée jusque dans les détails, et c'est d'ailleurs pourquoi j'ai classé ce roman en SF : il s'agit d'un monde ayant évolué d'une façon différente du nôtre, et il est donc naturel que les sciences et autres références religieuses et culturelles qui y sont mentionnées soient différentes de celles que nous connaissons, mais cela ne les rend pas pour autant arbitraires, et encore moins magiques. Les différentes cultures et biotopes décrits au long des cinq romans évoquent ceux que nous connaissons, avec toutefois ce léger décalage qui fait les délices des amateurs des littératures de l'imaginaire. En somme, nous avons là un savant mélange de réalisme et d'imagination, qui n'est pas si fréquent. Il est hors de doute que le nom de l'auteure est une valeur sûre.

J'ai mentionné le nom de l'illustrateur, Todd Lockwood, car il est à mon sens partie prenante de l'immersion dans l'univers décrit, tant grâce aux superbes couvertures, d'une grande homogénéité dans leur diversité, que dans les dessins inclus dans les romans. A ce propos, je conseille vraiment d'acquérir ces romans sur papier. En l'occurrence en effet, et quoique je sois lectrice sur liseuse convaincue depuis longtemps, ce sont de beaux objets à avoir dans sa bibliothèque, et avoir en e-pub l'illustration sur une page et son titre sur la suivante est désagréable, bien qu'inévitable la plupart du temps.