Il est temps que l'escadre d'Argo revienne : son père, le régent Uxman, n'en peut plus de l'attendre. Toutefois, son retour porte ses propres soucis, car certainement le Conseil, composé aux trois quarts de végétaux, va imposer Argo comme consort de la reine Atléna, qui va bientôt prendre son vol nuptial, et il n'a aucune chance d'y survivre. Mais Atléna, la reine-enfant, est faite d'une pierre plus dure que ne l'imagine le si vieux Peyotl-A, et quand elle ne trouve vraiment plus de prétexte pour repousser ce mariage redouté, au moins se débrouille-t-elle pour donner toutes les armes possibles à l'homme qu'elle aime.
Les publications de cette jeune maison d'édition sont d'excellente qualité. Non seulement les couvertures sont magnifiques, mais elles contiennent également de beaux dessins, ce qui suffirait à leur originalité quant à la forme. Mais de surcroît, la politique éditoriale est de redonner accès à des textes "perdus", ou pour le moins oubliés. C'était le cas pour Les Centaures, d'André Lichtenberger. C'est aussi le cas pour Les dieux verts.
La passionnante préface de Thierry Fraysse nous en indique la genèse, et la date de la première soumission à un éditeur, en 1956, soit précisément au moment où paraissait en Angleterre Le Seigneur des Anneaux. Le roman n'a pas tardé à être traduit en anglais, par non moins que Carolyn J. Cherryh, dont la carrière commençait à peine à ce moment-là. Il n'était donc que juste de rendre honneur à la première Française à avoir publié de la fantasy, avant même que le mot n'existe en français. D'autant que le roman lui-même n'est pas "daté" outrageusement. Certes, on n'est plus vraiment habitué au style lyrique (pour ne pas dire verdien : il y a des moments où je n'ai pu éviter d'entendre les trompettes d'Aïda, bien que l'action se passe au Mexique, et donc très loin de l’Égypte !), et on ne s'attendrait plus de nos jours à ce que le lecteur moyen soit familier des cactées et orchidacées au point de reconnaître leurs noms botaniques, mais de ce fait le dépaysement est garanti !
L'auteure met en scène un monde post-apocalyptique crédible, avec une montée générale des eaux qui a submergé une bonne partie des continents, dont la totalité de l'Europe, d'où l'espèce humaine a quasiment disparu. Ses derniers représentants sont sur le point d'être asservis par les plantes et les insectes au moment où se déroule l'action du roman. J'ai trouvé à ce propos que Nathalie Henneberg avait remarquablement réussi à suggérer la "végétalisation" de l'humanité, tout en expliquant l'immunité relative d'Atléna. En revanche, les personnages visent moins à incarner des personnes crédibles dans leur unicité que les grands archétypes mythologiques, qui sont d'ailleurs cités dans le texte. Cela participe à sa singularité, et ne conviendra sans doute pas à tout le monde, mais le lecteur curieux et/ou cultivé prendra sans nul doute un vif plaisir à ce roman atypique, entre SF et fantasy.