L’histoire commence en Angleterre, où Jacques Le Moyne s’est réfugié avec sa famille. Il s’est converti au protestantisme dans une France catholique, ce qui était à peine toléré, puis plus du tout (massacre de la Saint Barthélémy). Il est marié à Eleonore, une jeune femme soumise à contrecœur, qui rêvait d’une vie toute autre que celle de femme au foyer docile. Elle avait appris à connaître le monde grâce à l’atelier de cartographie de son père, là où elle a rencontré son mari Jacques, qui apprenait le métier. Jacques a eu l’opportunité de partir vers le Nouveau-Monde, dans la péninsule de Florida, où ni les Espagnols ni les Portugais n’avaient établi de colonie. Jacques Le Moyne devait être le cartographe de la mission.
A son retour, il n’était plus le même. Eleonore, qui l’avait enjoint à partir vivre de grandes aventures à sa place, pour les lui raconter ensuite, n’a jamais su ce qu’il s’était passé en Florida. Jusqu’à ce qu’une nuit, il lui raconte.
Ce récit enchâssé est extraordinaire. On apprend tout de la mission : les instigateurs, l’arrivée, les découvertes, les épreuves, le retour. C’est passionnant. Nous découvrons l’existence des Indiens timucuas, divisés en tribus ennemies. Les Français ont tenté de faire alliance avec les uns et les autres dans le but de trouver de l’or et des richesses, la motivation principale des grandes découvertes. Malheureusement pour les hommes occidentaux, les Indiens ne se laissant pas faire et les renforts attendus ne venant pas, l’hostilité d’une nature sauvage et inconnue a eu raison de leurs forces et de leurs espoirs. Et on comprend pourquoi Jacques Le Moyne s’est ensuite contenté de dessiner des motifs pour la reine et les femmes de la cour.
Tout aussi intéressant, le récit initial dans lequel Jacques Le Moyne est revenu de Florida depuis plusieurs années. Il est un des seuls témoins vivants de cette colonie et des Anglais veulent raviver ses souvenirs pour rendre compte de ce qui s’est passé. A des fins plus ou moins honnêtes.
L’album de Jean Dytar est extrêmement documenté, et la postface de Franck Lestringant, spécialiste des voyages au Nouveau-Monde, vient encore apporter des éléments à ce qui est une histoire vraie que, personnellement, je ne connaissais pas du tout. Mieux encore, l’auteur nous invite à consulter ses notes de recherche sur son site. C’est là encore intéressant, documenté, agréable à lire. Je vous recommande vraiment d’aller lire tout ça, on apprend encore pas mal de choses.
De bout en bout, Florida est une pépite. Les dessins sont superbes, j’aime particulièrement le travail fait sur les jeux d’ombre et les perspectives, donnant souvent une impression de 3D dans l’époque post-Florida, majoritairement dans des tons sépia. En revanche, les couleurs des colonies sont plutôt dans des tons verts et bleus, les contours plus flous, qui attestent qu’il s’agit des souvenirs de Jacques Le Moyne qu’il aurait aimé effacer à jamais.
Je tiens encore à souligner le travail remarquable effectué par Jean Dytar, tant pour ses recherches que pour la reconstitution qu’il en donne, en faisant aussi une œuvre littéraire de par l’utilisation de la mise en abyme, des émotions, des éléments de la vie quotidienne. C’est beaucoup plus qu’un documentaire, et bien plus qu’une histoire de fiction. C’est une merveille.