Les Chroniques de l'Imaginaire

Provenance (Provenance) - Leckie, Ann

Nétano Aughskold, une éminente politicienne de la planète Hwaé, a toujours encouragé la rivalité entre ses enfants adoptifs. Le meilleur d'entre eux, affirme-t-elle, héritera de son nom et ses biens. Le meilleur, ses enfants en sont tous convaincus, c'est Danach, qui est aussi ambitieux qu'impitoyable. Cela n'empêche pourtant pas Ingray de décider de faire un coup d'éclat, pour impressionner sa mère et damer le pion à son frère au moins cette fois.
Le plan d'Ingray est audacieux : elle va libérer Pahlad Budrakim, emprisonné à vie sur une planète inviolable pour avoir dérobé de précieux "vestiges" familiaux, et lae faire avouer où iael les a cachés. En mettant la main sur ces reliques inestimables, elle fera gagner des points à sa famille, et au contraire dévalorisera leurs adversaires politiques.

Ingray mise tout ce qu'elle possède dans l'aventure. Pour tout perdre : la personne qu'elle fait finalement échapper de Retrait Compassionnel n'est pas Pahlad Budrakim et ne peut rien pour elle. Il ne lui reste qu'à lui offrir l'identité de Garal Ket qu'elle avait prévu pour lae et à rentrer à la maison la queue entre les pattes. Mais ce n'est pas si simple. L'ambassadrice Gecke poursuit le vaisseau dans lequel elle a prévu de repartir de Tyr, affirmant que le capitaine Tic Uisine l'a volé aux Gecks. L'invitée extra-planétaire de sa mère est assassinée lors d'une excursion, et la planète voisine s'empresse d'accuser Garal Ket. Ingray se retrouve au centre d'événements qui dépassent largement ce qu'elle imaginait...

Nous retrouvons l'univers du Radch, peut de temps après la fin de la trilogie qui lui est consacrée, mais depuis un point de vue tout différent. Hwaé se trouve assez loin du Radch et se sent peu concerné par le Conclave à venir. Sa principale conséquence pour ces systèmes lointains est qu'il s'accompagne du déplacement d'ambassadeurs des "extérieurs", notamment les mystérieux Gecks, auxquels il faut faire particulièrement attention à cause du Traité avec les Presgers.
Ce sera donc pour le lecteur l'occasion de découvrir des peuples différents. Les Radchaaïs étaient indifférents au genre des individus, ce qui se traduisait dans le texte par l'emploi mélangé de noms ou pronoms masculins / féminins, quoique avec une tendance plus féminine. Chez les Hwaéens, on trouve une culture ternaire, où les individus peuvent être hommes, femmes ou autres. Le choix se décide à la maturité, avec emploi du pluriel pour désigner les enfants, qui n'ont pas encore choisi. Pour les individus ambigus qui ne sont ni homme ni femme, l'autrice a inventé des pronoms et accords "neutres" qui rendent le texte parfois un peu lourd à lire, surtout qu'on n'appréhende pas toutes les règles immédiatement. Bref, cela rend la lecture un peu déconcertante.

Dans ce cadre exotique, on suit donc les péripéties d'une jeune femme qui manque de confiance en elle, mais qui ne s'arrête pas pour si peu. Elle semble souffrir d'un complexe d'infériorité vis à vis de son frère, pourtant elle ne manque pas de qualités. Elle est intelligente bien que parfois un peu naïve, loyale, courageuse. Son plus gros défaut d'ailleurs, ce serait qu'elle parait trop gentille, un peu trop altruiste pour son propre bien.
Les personnages secondaires sont pour leur part plus sommairement brossés, ce que j'ai trouvé un peu dommage car ils ont un certain potentiel, notamment Tic Uisine et Garal Ket, sans compter les Gecks.
Le plan à petite échelle d'Ingray va vite se retrouver noyé par les manigances politiques à grande échelle d'autres joueurs. Le tout ponctué de réflexions sur l'identité culturelle, et notamment l'attachement à des vestiges prestigieux : des souvenirs plus ou moins importants de moments majeurs de l'Histoire de la planète, parfois aussi basiques qu'un ticket d'entrée dans un lieu donné à un moment donné. Ces artefacts n'ont aucune utilité effective, mais dans la culture hwaéenne la fraude autour de ces reliques prend une portée assez exceptionnelle. Quelle différence pourtant, entre un bout de papier authentique et un qui ne l'est pas ?

Le roman est bien rythmé, mêlant agréablement la découverte de l'univers, les moments introspectifs et l'action. Certes, il n'est pas aussi profond que les Chroniques du Radch, mais évidemment le format est bien plus court, permettant moins de développements. Pour ma part, je l'ai lu tout d'une traite et j'ai adoré. Je compte bien m'intéresser de près à toute production ultérieure de l'autrice, Ann Leckie, et je vous recommande chaudement de découvrir ses ouvrages pour vous en faire votre propre idée !