Les Chroniques de l'Imaginaire

Theodore Sturgeon, le plus qu'auteur - Sturgeon, Theodore

Ce qui est particulier avec Theodore Sturgeon, c'est la façon dont il a marqué, sinon influencé, non seulement ses collègues auteurs, voire leurs successeurs, sans parler de ses lecteurs, mais aussi les musiciens de la beat generation, alors même que son œuvre est éminemment personnelle au sens de "profondément autobiographique". Il faut lire sur ce thème particulier l'excellente interview de Marianne Leconte, avec ses éléments biographiques et critiques mis en regard, pour mesurer combien Sturgeon a utilisé l'écriture à la fois de façon thérapeutique et pour exposer ses idées sur l'homme et l'humanité. L'interview de Noel Sturgeon, la fille de l'auteur, parle justement de l'influence qu'il a eue, et celle-ci est également illustrée tant par des lettres reproduites d'auteurs, que par des citations de musiciens.

Et bien sûr, il y a le cas particulier de Star Trek. Si vous n'aviez jamais réalisé tout ce que la série, notamment le personnage de Spok, et les Vulcains en général, doit à Sturgeon, il faut absolument lire l'analyse éclairante de Fabrice Defferrard à ce propos. Vous y apprendrez notamment que c'est de lui que vient le salut vulcain, et la phrase mythique "Live long and prosper" (en français "Longue vie et prospérité").

D'une certaine façon, pourtant, Theodore Sturgeon est plus connu en France qu'aux USA. Du moins y a-t-il été connu sans hiatus, y étant constamment réédité, ce qui n'a pas été le cas dans sa patrie d'origine. Cela dit, et d'après l'exemple cité par Pierre-Paul Durastanti, qui a récemment retraduit Cristal qui songe, la version française semble assez largement infidèle au texte original. Sans compter que la plupart de ses nouvelles n'ont malheureusement pas (encore ?) été traduites en français.

Mais il a également été adapté à la télévision française, notamment par Christian de Chalonge, témoignant de façon touchante de son plaisir à lire la bonne appréciation de l'auteur sur son travail, et par Laurent Heynemann, qui s'en explique dans une passionnante interview, qui a le mérite de démontrer comment quelqu'un qui n'aime pas la SF en tant que genre en général peut adorer Sturgeon et les univers qu'il crée. On ne peut que regretter que Bertrand Tavernier et Sturgeon ne soient jamais arrivés à se mettre d'accord pour adapter au cinéma Les plus qu'humains, mais leurs échanges à ce propos sont émouvants, en montrant leur égale frustration à ce sujet.

A propos de la "présence" française de Sturgeon, l'amateur de SF de longue date lira également avec intérêt le témoignage de Philippe Hupp, qui a fait venir Sturgeon en France en 1976 pour le Festival de SF de Metz, et de Pierre Pelot qui l'y a rencontré. Cette reconnaissance française a été particulièrement importante pour Sturgeon à l'époque, du fait que c'était un moment où il n'était plus très édité, ni connu, aux USA.

Si les plus jeunes d'entre vous s'interrogent sur la nécessité de consacrer ce beau travail à un auteur dont les textes remontent à la première moitié du XXe siècle, il faut lire les extraits d'interview de Sturgeon présentés par Jérôme Didelot, qui vous permettront de mesurer son actualité. Un exemple ? Voici : "Grâce à la technologie, nous avons créé un certain nombre de conditions nouvelles. [...] (L)e réseau mondial d'informations va modifier l'évolution de l'espèce humaine.[...] Le progrès s'est fait en silence et c'est un bond gigantesque, qui va affecter notre espèce plus encore que la bombe atomique ne l'a fait.". Sans revenir sur la nouvelle adaptée par Heynemann, qui montre à sa façon les conséquences meurtrières des relations sexuelles très longtemps avant l'épidémie de SIDA...

Il faut remercier Le Forum des Débats et ActuSF pour ce livre de haut niveau et accessible à la fois, qui va, je n'en doute pas, gagner de nouveaux lecteurs à Sturgeon. Sur ce, je vous laisse, je file relire Cristal qui songe...