Les Chroniques de l'Imaginaire

Mon père ce poivrot - Louis & Daviet, Véra

Saint-Denis, dans le 93, de nos jours. Nous sommes au café Les Quatre Marches, tenu par Salim. Un café tout ce qu'il y a de plus normal, qui sert de l'alcool tout en diffusant les infos en continu. Un café normal, avec ses habituels piliers de bar, qui se torchent ensemble, en parlant, mais pas forcément en s'écoutant. Parmi les piliers en question, on trouve Lulu, un vieil homme qui n'a que le fond de son verre pour discuter. Un vieil homme à l'air triste et renfrogné ce soir, même si tout est sur le point de changer...

Et c'est d'un coup qu'il sort de sa léthargie, Lulu, lorsqu'il aperçoit quelqu'un aux infos. Une tête qu'il connaît bien : Rémy, son propre fils, qu'il n'a pas vu depuis trois ans, et qui est en compagnie d'autres énergumènes pour tenir la ZAD, près de Nantes... Alors, tout remonte dans la tête de Lulu : sa vie d'avant avec sa Louisette, qui l'a quitté, son alcoolisme chronique, ses excès de colère lorsqu'il était dans cet état. De plus en plus souvent. Et son fils, Rémy donc, parti lui aussi.

Mais là, c'est décidé : Lulu sait qu'il va devoir faire du ménage dans sa vie. Et il sait aussi que cela va passer par de la résistance vis-à-vis de son plus grand ennemi, l'alcool... Lulu va devoir quitter sa banlieue parisienne, et se rendre à Rennes, pour y retrouver Louisette. Et de là, le vieux couple devra aller à la rencontre de Rémy, dans cette ZAD où l'affrontement avec les gendarmes risque d'être violent...

Pour autant, entre le plan imaginé en quelques instants et la mise en œuvre, il y a une sacrée distance à franchir. Surtout dans un milieu où chaque panneau publicitaire vous rappelle l'existence de la mère Alcool, cette traîtresse prête à tout pour faire craquer Lulu... Et puis il y a aussi le pire de tout : la rencontre avec Rémy. Comment réagira t'il, le gamin, devant le dernier soubresaut de conscience de ce qu'il considère comme une épave depuis tant d'années ?

C'est un album délicat que nous livrent là Louis et Véra Daviet, les auteurs de Mon père ce poivrot. Un album délicat humainement, d'autant qu'il résonne très proche d'une histoire vécue. Alors, il était évident que cette histoire serait publiée par un éditeur comme Bamboo, dans sa collection Grand Angle, qui fourmille déjà d'histoires familiales, souvent difficiles, de récits intimistes.

Les personnages présentés ici sont d'une grande humanité, mais aussi d'une grande crédibilité. Ce qui ne gâche rien. Le plus important, le personnage de Lulu, est traité avec une grande justesse. On ne s'attarde pas sur l'alcoolique, même si on le voit comme cela, dans le présent ou dans le passé. On s'attarde plus sur l'homme, l'esprit sain lorsqu'il n'est pas embrumé par les vapeurs d'alcool. La lutte sans merci qui s'établit pour éviter de replonger, encore une fois. Le manque de confiance que les autres ont ou pourraient avoir devant la parole d'un alcoolique.

Bref, le récit est surtout une lutte contre l'alcool et ses ravages. L'alcoolisme chronique est une maladie, et cette histoire permet d'ouvrir justement les yeux sur le phénomène. Elle permet de s'attarder, réfléchir et comprendre, en prenant comme témoin cette famille déchirée depuis toujours. Les auteurs mêlent l'histoire dans une actualité brûlante, avec la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Graphiquement, c'est très réussi : les dessins sont clairs, faisant la part belle à une grande lisibilité, et un soin tout particulier est apporté aux expressions des protagonistes rencontrés ici.

Un livre sur l'alcoolisme, bien loin du voyeurisme qu'il pourrait susciter, traité avec beaucoup de sensibilité et d'intelligence.