Ce numéro 55 de Galaxies s’intitule Regards sur l’Afrique. Il s’inscrit dans la foulée du numéro 46, sur la science-fiction africaine, mais comme son titre l’indique, les nouvelles qu’il propose sont en majorité l’œuvre d’auteurs non-africains, qui examinent le présent et le futur de ce vaste continent.
L’exception est OrgHôtes, la première nouvelle, dont l’auteur est le Zimbabwéen Tendai Huchu. Dans ce futur, l’exploitation des ressources du continent n’a pas cessé, bien au contraire, puisque désormais, les corps mêmes de ses habitants sont devenus, grâce à une méthode de transfert de conscience, des vaisseaux que peuvent occuper pour plus ou moins de temps les hommes et les femmes qui ont les moyens de se les offrir. Piégé, privé de l’usage de son propre corps, le narrateur lutte pour sa vie, car il arrive en fin de vie, comme un vulgaire appareil électroménager.
Les pieds à l’envers, de Roznarho, est un court récit articulé autour du dialogue entre un jeune garçon, Tariro, et le poste de radio qui lui recrache la propagande gouvernementale, dans un pays en proie à une guerre totale. Cette nouvelle est trop courte et allusive pour laisser une impression durable.
Le don du roi de la colline, de Nelly Chadour, prend place au Rwanda dans un futur proche. Les cicatrices du génocide sont encore douloureuses, notamment pour la protagoniste Charité, qui y a perdu ses bras et ses jambes alors qu’elle était enfant. Désormais primatologue, pourvue de prothèses biomécaniques, elle fait partie d’une mission envoyée pour enquêter sur une étrange épidémie qui menace de rayer l’humanité de la surface du globe. Avec son style sans fioritures et ses personnages criants de vérité, c’est un texte très sombre, mais où perce néanmoins une lueur d’espoir.
La porte sur le vide, de Claude Mamier, se lit comme un conte de fées moderne. Un jeune garçon sans le sou, Sadio, se voit offrir par un vieil homme l’opportunité d’échapper à sa vie de miséreux, simplement en franchissant une porte qui ne donne sur rien. Mais, bien entendu, tout a un prix… Pour un tel texte, la concision est un atout et c’est l’un des plus satisfaisants du magazine.
Enfin, Le Lion, de Pierre Gévart, s’amuse à inverser les rôles : cette fois, ce sont les pays du Nord qui sont ravagés par la guerre et la famine et c’est l’Afrique qui vient à leur secours en formant des administrateurs et des décisionnaires. L’idée n’est pas neuve, mais elle est traitée efficacement à travers les yeux d’un Européen, Henri, devant affronter la dernière épreuve de sa formation.
Le dossier Afrique comprend également plusieurs essais et articles : une introduction au cycle de conférences Afrocyberféminismes organisé à la Gaîté lyrique début 2018 ; une présentation du film Nogochi, décrit comme « un western fantastique en Afrique de l’Ouest » ; une analyse fouillée du comics Marvel Black Panther et du film qui en a récemment été tiré ; enfin, des entretiens avec des chercheurs dans de nombreux domaines pour connaître leurs visions de l’Afrique présente et future.
La dernière nouvelle du magazine, Insignifiante d’Élodie Serrano, n’est pas liée au thème. Arrivée deuxième du prix Alain le Bussy, elle peut être résumée par ses premiers mots : « J’ai toujours détesté les voyageurs temporels. » Avec une plume alerte et enjouée, la narratrice décrit comment sa vie a été gâchée par les incessants va-et-vient de ces voyageurs qui ont décidé sans qu’elle sache pourquoi de l’utiliser comme point d’ancrage temporel. Un récit plein de malice.
La version électronique du magazine propose trois textes supplémentaires : Trois Règlements de Contes d’Alain Dartevelle, dans la veine des micro-nouvelles acides de Jacques Sternberg ; Watch-Make-Hurt de Guillaume Laffineur, une vision loufoque d’un futur où les traders continuent à vouloir faire des bénéfices malgré l’apocalypse ; et Bébé de Rachid Ouadah, un texte plus mélancolique sur l’attachement maternel.