Attention : cette chronique peut contenir des SPOILERS !
Pendant leur voyage en dali vers le Nord, Nemrick raconte à ses compagnons ce qui s'est passé lors du retour du Lemnoth à Selckin-2, après le désastre du Terkenh et la mutinerie : ils ont retrouvé Rumack avec les pleins pouvoirs sur la planète suite à une crise qui avait tué un grand nombre d'Eridanis. Comme ils restaient trop peu nombreux pour que la colonie soit viable, surtout étant donné la complexité de leur mode de reproduction, Rumack a utilisé l'un de ses scénarios, et créé une espèce d'hominidés, les Mikaïs, pour réaliser les travaux, et servir les Eridanis. Il les met d'ailleurs volontiers au service de Henock pour les réparations du Lemnoth. Toutefois, la plupart des Eridanis craignent et détestent les Mikaïs, au moins autant qu'ils se méfient de Rumack, et une révolte finit par éclater.
Dans le présent de 3045, les fugitifs rencontrent des Héoniths retenus prisonniers, qui étaient convoyés vers la forteresse où règne Sackurah, et les délivrent, les prenant comme guides pour rejoindre la résistance, où Arghen est accueilli avec joie, cependant que Nemrick retrouve avec émotion la vieille Gannagho, qui fait partie des cinq premiers Mikaïs créés par Rumack, et qu'il a connue toute jeune, lors de son propre retour sur la planète.
Ce qui m'a particulièrement séduite dans ce tome, c'est l'évolution de Takeo, et la façon habile dont elle exemplifie celle des Mikaïs dans leur ensemble. En effet, ceux qui y apparaissent sont majoritairement à la fois des adultes et des guerriers ou des savants. Même la jeune Nyamuh a connu le chagrin de perdre son compagnon, ce n'est pas une adolescente. D'ailleurs, on continue à découvrir le passé de l'histoire, mais d'une façon différente : Nemrick le raconte, pour partie, aux deux jeunes Mikaïs avec qui il voyage, et les Mikaïs font leur apparition dans ce passé, dont les Eridanis cessent peu à peu d'être les personnages principaux. C'est dans plus d'un sens que la canne de Nemrick fait figure de témoin dans une course de relais. La relation hiérarchique de type parent-enfant qui liait jusque là Nemrick et Takeo évolue vers davantage d'égalité quand le jeune Mikaï conteste les décisions de l'Eridani, et commence à lui adresser des reproches.
La réflexion sur l'esclavage est bien mise en scène : on y retrouve ce qui se pense et se dit couramment à propos des "races inférieures", et la justification des maîtres auto-proclamés qu'un jour, dans un avenir défini par eux, une liberté sera accordée, encore une fois par eux. On sait bien que ce n'est pas comme cela que l'histoire se déroule, et le destin de Nemrick est exemplaire à cet égard, si celui d'Henock m'a paru assez utopique... mais nous sommes dans un roman de SF, en somme, et les Mikaïs ne sont pas des humains ! A ce propos, j'ai aussi bien aimé la mise en scène de la différence essentielle entre IA et humains dans le temps : ce qui caractérise ces derniers, à savoir la possibilité de changer d'avis, et plus généralement d'évoluer, manque aux premières, on le voit tant sur le Terkenh que sur la planète.
En somme, j'étais curieuse de lire ce premier roman d'un jeune auteur dont j'avais aimé les nouvelles dans Solaris, et je n'ai pas été déçue, au contraire. Je le trouve original, bien écrit, avec beaucoup de dialogues et d'action, qui se déroulent sur un arrière-plan cohérent et fouillé jusque dans le détail, dont sont d'ailleurs témoins la carte et le glossaire, tous deux utiles et bienvenus.
La version poche, chroniquée ici, de ce roman doit sortir en France au mois de mai 2019.