Les Chroniques de l'Imaginaire

Nymphéas noirs - Duval, Fred & Bussi, Michel & Cassegrain, Didier

Le village de Giverny n'est pas seulement ce petit village mignon de Normandie qui a vu exploser le talent de Claude Monet, le maître de l’impressionnisme. C'est aussi un village qui cache ses secrets, petits pour certains, terribles pour d'autres. C'est dans ce village qu'on retrouve trois personnages, trois femmes, très différentes. L'une, Fanette, est une gamine de onze ans, très douée pour la peinture et qui fait fondre le cœur des garçons de sa classe. La seconde, Stéphanie Dupain, est justement une institutrice, bien jolie au demeurant. La troisième n'est autre qu'une vieille dame qui passe son temps à déambuler dans les rues, en compagnie de son chien, Neptune.

La tranquillité du village vole en éclats lorsque le corps de Jérôme Morval, chirurgien ophtalmo de son état, est découvert. Morval habitait la rue la plus chic de Giverny, avant de se faire poignarder, défoncer le crâne à coup de grosse pierre, et noyer... A présent, c'est l'inspecteur Laurenç, aidé de Sylvio, qui va se charger de l'enquête. Et celle-ci commence par des traces de bottes laissées sur la berge. Et le mobile pourrait ici être multiple, entre la passion immodérée de Morval pour la peinture (et son désir ardent de posséder un original de Monet), pour les femmes (avec ce que cela comporte de risques par rapport à un mari jaloux), et ce mystérieux mot qui parle de l'anniversaire d'un gamin de onze ans, retrouvé dans les papiers de Morval...

Alors, Laurenç et Sylvio vont creuser. Et pour Laurenç, cela va démarrer par un interrogatoire auprès de Stéphanie Dupain. Aussitôt, l'inspecteur en question est troublé par la beauté de cette dernière. Pour autant, le professionnalisme prend le dessus, d'autant que l'institutrice est mariée à un homme à la jalousie très connue dans le village. Troublant, surtout lorsqu'on sait que Morval cherchait à approcher absolument de la jolie institutrice. C'est en tout cas ce que montre une photo dénichée par Sylvio. Une photo parmi cinq, où Morval est à chaque fois surpris avec une conquête différente, dans des positions plus ou moins équivoques... De quoi complexifier encore l'enquête et les recoupements à faire...

Pendant ce temps, c'est aussi au petit jeu de Fanette que l'on assiste. Cette dernière fait tourner bien des têtes, à commencer par celle de Paul, son petit copain officiel, même si Vincent ressent de plus en plus de jalousie envers son camarade. Mais pour l'un comme pour l'autre, les absences répétées de Fanette dans l'après-midi sont un mystère. Des absences où elle ne fait que rencontrer un vieux peintre américain, qui l'aide à parfaire son coup de pinceau, dans l'objectif de gagner un prestigieux concours de peinture, forcément impressionniste. Après tout, nous sommes bien à Giverny...

Et il y a aussi cette personne âgée, toute de noir vêtue. Une grand-mère innocente, comme il en existe dans chaque village de France. Cependant, une grand-mère sans doute pas si innocente que cela, lorsqu'on l'accompagne d'un peu plus près. Une grand-mère qui n'hésite pas à débrancher volontairement, à l'hôpital, son mari, qui est en fin de vie. Une grand-mère qui semble observer de plus ou moins loin à la fois Fanette et Stéphanie Dupain. Mais pourquoi diable ?

Attention : chef d’œuvre ! Ni plus, ni moins. Ce Nymphéas noirs, qui paraît dans la collection Aire Libre chez Dupuis, est un véritable coup de poing lancé à la figure de n'importe quel fan de bande dessinée. En reprenant le roman du même titre de Michel Bussi, réputé impossible à transcrire en bande dessinée, c'est à un véritable monument que se sont attaqués Fred Duval, en tant que scénariste, et Didier Cassegrain, en tant que dessinateur et coloriste.

Le résultat est bluffant, une pure merveille. Les dessins de Didier Cassegrain ont gagné en maturité, de façon impressionnante. Le dessinateur de Tao Bang ou du plus récent Piège sur Zarkass fait preuve ici d'un découpage impressionnant, en offrant un dessin réaliste, aux couleurs magnifiques, à trois histoires qui s'entrecroisent de la plus belle des manières. On suit avec plaisir l'évolution de Fanette, Stéphanie Dupain, ou encore cette vieille dame, sans que la lisibilité soit ternie le moins du monde. Les couleurs, justement, sont bien souvent une ode au travail de Claude Monet, notamment bien entendu lors des passages dans les jardins verts de Giverny.

Les personnages sont tous (et pas seulement toutes) parfaitement convaincants, des personnages principaux aux personnages plus secondaires. Tout est ici à l'avenant, et rien n'est laissé au hasard : il fallait bien cela pour mener à l'hallucinant final, auquel on ne peut pas s'attendre lorsqu'on ne connaît pas le travail de Michel Bussi.

Ainsi, il sera parfaitement opportun de lire et relire cette œuvre au moins deux fois, sans connaître le dénouement, puis en le connaissant. Un peu comme on doit regarder deux fois un film comme Sixième Sens. Les détails sont nombreux, les personnages inoubliables (notamment Stéphanie Dupain, magnifique), et le livre est tout simplement indispensable lorsqu'on est attaché au neuvième art, ou même à l'art tout simplement. Dans un style différent, Dargaud nous faisait découvrir Musnet, à Giverny. Qu'à cela ne tienne : les éditions Dupuis ont ce Nymphéas noirs, qui ne fera nullement tache dans la collection Aire Libre.