Les Chroniques de l'Imaginaire

L'oeil du monde (La roue du temps - 1) - Jordan, Robert

Dans le petit village de Champ d'Emond, c'est l'effervescence. Les villageois, jeunes comme vieux, femmes et hommes, s'activent aux préparatifs de la Nuit d'hiver, la grande fête qui marque symboliquement la fin de l'hiver et le retour du printemps. C'est aussi l'occasion, pour ces paysans, de recevoir quelques visiteurs de marque, un colporteur avec des nouvelles fraîches, un trouvère pour l'animation et les légendes, ainsi que, summum de l'incongruité, une aristocrate et son champion !

Rand, berger comme son père, attend avec impatience cette nuit pour faire la fête avec ses amis, lâcher son boulot et, qui sait, passer un peu de temps avec une jolie fille. Tout pour se changer les idées et oublier ce cavalier noir aperçu l'épiant dans la forêt.

Mais l'ambiance frétillante est plombée par le colporteur. Les nouvelles du reste du monde ne sont pas bonnes. L'hiver a été interminable partout ailleurs, les hommes se font la guerre et un énième charlatan se prétend être la réincarnation du Ténébreux.

J'avais envie de me lancer dans une nouvelle grande série de fantasy. Parce que j'aime ça et parce que je n'en ai plus lue depuis longtemps. N'ayant pas envie de me relancer dans une longue aventure de Robin Hobb, j'ai cherché et retrouvé La roue du temps de Robert Jordan au fond de ma liste de souhaits. L'âge du livre et de sa traduction expliquent la mise sur le côté de La roue du temps. Mais puisque Bragelonne a édité une nouvelle traduction de l'intégralité de la série, allons-y !

Bien sûr, à la lecture de ce roman, il est impossible de ne pas faire l'inévitable rapprochement avec Le seigneur des anneaux de Tolkien, tant la structure générale du récit est similaire à celle de La communauté de l'anneau. L'histoire démarre dans un joyeux petit village éloigné des problèmes du monde, l'ombre d'un terrifiant ennemi des peuples libres s'étend, une sorte de magicien pousse des jeunes gens à quitter leur village pour rejoindre une grande ville... et ce voyage initiatique constitue une large partie de ce livre.
Simple copie ou vulgaire resucée, me demanderez-vous ? Inspiration et influence selon moi, comme beaucoup de romans de fantasy. Les thèmes de La roue du temps sont récurrents en fantasy et ne pas vouloir découvrir la grande épopée écrite par Jordan parce qu'elle ressemble au Seigneur des anneaux serait une erreur de débutant littéraire. 

La roue du temps est une belle et grande histoire, captivante dès son premier chapitre. Elle me laisse un sentiment de satiété bien agréable. Jordan, son écriture, ses personnages et son ambiance m'ont fait plaisir du début à la fin, en collant un sourire sur mon visage. D'ailleurs, si les personnages (mâles et femelles) sont simples (avec quelques secrets, évidemment), ils ne sont ni trop cons, ni insupportables, ni trop archétypaux. On suit leur initiation et leur découverte du monde hors du village avec intérêt et plaisir. C'est surtout l'atmosphère rendue par Jordan qui m'a botté. Délicieuse et contemplative, à la manière du style wilderness, tant apprécié des auteurs et lecteurs américains.

Cette histoire est brillamment construite, son rythme est maîtrisé par l'auteur et la tension est amenée avec précision. Même les longs paragraphes de description n'encombrent pas l'action, ils la posent et la développent. De plus, malgré la taille et la complexité de l'univers, on ne s'y perd pas.

Il n'y a que les phases de rêves ou cauchemars des personnages qui m'ont laissé sur ma faim. On dirait que l'auteur veut en faire trop et l'angoisse que devraient amener ces mauvais songes ne grandit pas.

La nouvelle traduction de  Jean-Claude Mallé (qui a bossé sur les bouquins de Goodkind) est moderne et sonne juste. Elle soutient très bien le texte et l'action. Son français est fluide, agréable, bien construit et bien choisi.

Après une publication en grand format par Bragelonne en 2012 (sous des couvertures immondes, à l'image d'une édition allemande d'un bouquin pour adolescents vendue en supermarché) qui récupère le découpage et l'ordre de la version originale en anglais, les sorties en poche arrivent petit à petit. A l'heure de cette chronique, seul le premier tome de La roue du temps (L'oeil du monde) est paru en deux livres poches (comme la vieille version française, en fait). Le deuxième opus, La grande quête, sortira en deux parties en mars 2019. Pour les curieux, l'édition Bragelonne à dix euros de L'oeil du monde est toujours disponible actuellement.

J'ose : L'oeil du monde est du Tolkien sans ses défauts, une gigantesque aventure de fantasy, haletante et sans lourdeur de style.