Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle, en plein milieu de l'océan Indien. L'Utile est un navire qui tente de braver la tempête qui fait rage, mais les marins ne parviennent pas à éviter le pire : bientôt, le navire sombre, corps et biens, laissant plusieurs dizaines de survivants, qui parviennent à regagner un rivage à la nage. Parmi ces survivants, on trouve des marins blancs, dont le premier lieutenant de frégate Barthelemy Castellan du Vernet, ainsi qu'une cargaison d'esclaves malgaches, qui étaient destinés à être illégalement vendus.
Le destin de ces survivants sera maintenant tout autre, puisqu'ils se sont échoués sur l'île des Sables, un bout de caillou sans arbre perdu au milieu de l'Océan. Une terre aride, qui culmine à son point maximum à huit mètres au-dessus du niveau de l'eau. Heureusement, de l'eau douce y est disponible, ce qui permettra une survie plus longue, d'autant que les oiseaux, les poissons et les Bernard l’Hermite sont légion sur cette île.
Les premiers instants sont empreints de désespoir. Les marins blancs comptent leurs morts, et les esclaves noirs également. Nombreux sont ceux qui sont morts noyés, enfermés dans les cales, sans avoir une chance de s'en sortir. Les deux camps se séparent distinctement, et on retrouve notamment Tsimiavo et sa mère dans le camp des Malgaches. L'urgence est rapidement dans le fait de récupérer tout ce qui est récupérable, dans l'épave qui est encore proche. Une épave dont il ne reste plus que l'ancre, encore visible aujourd'hui, dans les flots.
Et puis, le temps de l'entraide arrive. L'idée est de réussir à construire un navire, plus petit certes, sous les ordres de Barthelemy Castellan du Vernet. Les noirs et les blancs, qui le désirent, travaillent ensemble. Et bientôt, un nouveau navire est prêt à quitter l'île. Un navire qui ne transportera que les marins blancs, même si ces derniers promettent de bientôt revenir chercher les esclaves noirs...
Il aura fallu attendre une expédition, de nos jours, pour avoir l'occasion de découvrir cette histoire d'Humanité hallucinante. Et c'est à Sylvain Savoia, dessinateur de Marzi, que l'on devra cette expérience. Sylvain Savoia a ainsi participé à une expédition sur ce qui est devenu depuis l'île de Tromelin, connue comme étant l'île des esclaves oubliés. Savoia raconte ce qui est arrivé aux esclaves en question, de leur naufrage jusqu'à la libération de huit d'entre eux, sept femmes et un bébé, quinze ans après le naufrage. Le livre est ainsi riche d'une double narration. D'un côté, les événements de l'époque. De l'autre, un récit documentaire sur le voyage en question, et les découvertes archéologiques faites sur place.
L'auteur parvient à retranscrire la réalité des faits, mais aussi la solitude qui peut vite vous gagner sur une île comme celle-ci. Nous sommes bien loin de toute agitation, sans moyen de communication ou presque, et cet état des lieux permet de renforcer ce qu'ont du ressentir les quelques survivants qui ont vécu quinze années de leur vie sur ce caillou.
Les éditions Dupuis ont eu la bonne idée de rééditer l'album, initialement paru dans la collection Aire Libre en avril 2015, à l'occasion de l'Exposition Tromelin, l'île des esclaves oubliés, présentée au Musée de l'Homme à Paris jusqu'au 3 juin 2019. C'est donc l'occasion ici de découvrir, ou redécouvrir, une œuvre incroyable, pleine de force et d'intelligence, que l'on doit à l'auteur de Marzi (dont on a d'ailleurs droit à un petit clin d’œil au passage). A lire et à relire, par le plus grand nombre...