L'édition 2018 des Utopiales, Festival International de Science-Fiction de Nantes, avait pour thème le corps dans tous ses états. Cette anthologie officielle, réalisée par les éditions ActuSF, laisse libre cours à treize des auteurs invités au festival pour explorer ce thème à leur façon (parfois de manière assez lointaine, d'ailleurs). Bon nombre de ces textes sont inédits en France, ou au mieux parus de manière quasi confidentielle.
Anamnèse de la chair de Olivier Cotte
A l'heure où l'ensemble de l'humanité est progressivement numérisée et intégrée au réseau en vue d'un départ dans les étoiles, un homme attend impatiemment son tour. Il s'ennuie, se perd dans ses souvenirs : d'où lui vient telle cicatrice, ou le petit vent frais qui soufflait sur la terrasse quand il y déjeunait avec sa compagne...
Présenté sous la forme d'une pièce de théâtre, ce texte nous embarque dans la folie qui submerge peu à peu un homme de plus en plus seul, dont les souvenirs s'emmêlent. La solitude du personnage, qui se sent différent de tous les autres et voudrait être comme eux, m'a rappelé Rhinocéros d'Eugène Ionesco. Le tout est bien sympa, et avec une très belle fin.
Monade Incarnate de Li-Cam
Les pèlerins affluent sur Sitive, espérant y être acceptés et y jouir d'une vie meilleure. Le Kalpa choisit une jeune fille pour porter un enfant qui participera à la croissance de la planète.
C'est tout un monde, différent, qui se découvre à nos yeux ici, et c'est vraiment bien pensé. Ce n'est pas facile de rentrer dedans au début, mais c'est un très beau récit.
Conatus de Laurent Genefort
Jesper est un habitué de la résurrection : Quand il en a besoin, il fait appel aux extraterrestres de la Mosaïque pour lui fournir un nouveau corps. Au grand dam de sa famille, qui voit cela comme un péché !
Encore un texte très intéressant, qui montre comment la transformation du corps en objet remplaçable peut être perçue par des gens qui pensent différemment.
Le cerveau du président a disparu de John Scalzi
(première parution VO 2011, traduction de Sylvie Denis)
Réunion de crise à la Maison Blanche : sur les dernières radios, le cerveau du président a disparu ! Pourtant, celui-ci se porte très bien et continue à agir comme d'habitude. Une enquête - urgente - s'impose.
J'ai adoré cette nouvelle qui ne se prend pas au sérieux et nous offre un joli moment de détente et d'humour.
Déliance de Sabrina Calvo
Dans un monde mourant, la narratrice a choisi de se réfugier en Islande. Un jour, elle est touchée par un flocon de neige. Immédiatement séduite, elle fait tout pour le protéger (elle le conserve dans son frigo...) et va peu à peu muter à son contact.
Un texte poétique et troublant, qui vous permettra également d'apprendre à compter en islandais puisque la numérotation des sous-chapitres est dans cette langue !
Ascension de Patrick Dewdney
Un homme, une femme, sur une montagne. Ils rejoignent un chalet solitaire, près du sommet.
Deux êtres qui cheminent ensemble, mais qui sont finalement aussi seuls l'un que l'autre. Par petites touches, l'auteur nous brode le contexte, plutôt sombre en fait, c'est très bien fait.
La Première Pierre d'Ursula K. Le Guin
(première parution VO 1992, VF 2009, traduction d'Anne-Judith Descombey)
Les obls vivent près des rivières, dans l'obsession de l'ordre. Ils aiment les grandes mosaïques de pierres, agencées par forme exclusivement. Un jour, leurs esclaves, les nurs, découvrent que l'on peut également faire des motifs avec les couleurs.
Voilà décidément une magnifique nouvelle, profonde, tout à fait dans l'esprit de la grande autrice qui l'a écrite ! A découvrir.
Le Garçon du goûteur de Ben H. Winters
(première parution VO 2013, traduction d'Erwan Devos et Hermine Hémon)
C. est devenu le maître du monde et s'amuse à faire souffrir les petites gens, juste parce qu'il le peut et pour leur prouver sa domination. Mais sans adversaire à affronter, sa vie n'a plus de sens.
Ce texte est assez sombre et violent, un peu dérangeant pour les âmes sensibles, peut-être est-ce pour cela qu'il m'a moins plu que les autres.
Le Syndrome de Pan de Morgane Caussarieu
(première parution 2015)
Dans la nuit londonienne, une adolescente et son petit frère rencontrent un étrange garçon. Celui-ci ignore son nom, il sait juste qu'il ne grandira jamais et que la nuit appartient aux enfants. Il entraîne Evi et Simon dans un périple invraisemblable.
Où la descendante de l'auteur de Peter Pan rencontre celui-ci et les Enfants Perdus. La trame de l'histoire reprend pas mal d'éléments du roman original (comme le fait que Peter cherche désespérément une maman pour lui-même et les Enfants Perdus), mais en plus glauque : Et si le Pays Imaginaire n'était qu'un vieux parc d'attractions délabré et sordide ? Si la poudre de fée permettant de s'envoler n'était que de la drogue qui fait "planer" ? Peter et ses amis sont barbares, et ce sans remord puisque pour eux le mal est une invention des adultes.
Là encore, ce texte m'a dérangée. Ce Peter Pan dénaturé fait froid dans le dos et je n'ai pas su l'apprécier.
Magie des renards de Kij Johnson
(première parution VO 1993, VF 2002, traduction de Mélanie Fazi)
Une demoiselle renarde tombe amoureuse d'un humain au premier regard. Un amour si fort qu'elle est prête à se laisser dépérir, c'est pourquoi sa famille accepte d'utiliser la magie des renards : aux yeux du seigneur, les renards seront des humains, leur tanière une splendide demeure...
Magnifique ! J'ai vraiment adoré cette nouvelle pleine de sensibilité, très poétique.
A noter qu'elle a reçu en 1994 le prix Theodore Sturgeon.
L’Amour au temps des chimères d'Elisabeth Vonarburg
(première parution 2013)
Djani est un/une Métame, capable de métamorphoser son corps à volonté. Ces derniers temps, ilell aime prendre l'apparence d'une mystérieuse sirène et intervenir dans un spectacle aquatique, pour charmer le beau Khim qu'ilell aimerait séduire.
Un personnage intéressant, un contexte qui l'est également et une belle plume, il n'en faut pas plus pour faire de ce texte une jolie découverte.
La Pluie d'Alex Evans
Evi et Alicia survivent de leur mieux dans un monde détruit : depuis l’Épidémie, les gens se transforment peu à peu en bouffeurs qui avalent n'importe quoi. Le temps leur est compté, sûrement.
Encore un futur peu enthousiaste ! Intéressant, mais je n'ai pas vraiment accroché.
Morts à crédits de Jehanne Rousseau
A chaque échec, à chaque mort, pouvoir se relever et repartir comme si de rien n'était : Est-ce vraiment aussi sympa que cela en a l'air ? Des personnages de jeu vidéo ronchonnent contre leur existence, toujours obligés d'affronter les dangers encore et encore sans répit, avec un but qui reste bien souvent hors de leur portée.
Cette anthologie se termine avec une petite touche d'humour, une nouvelle amusante et très agréable à lire malgré son côté prévisible.
Vous n'avez pas eu l'occasion d'aller aux Utopiales cette année ? Pour atténuer votre déception, vous n'avez plus qu'à vous rabattre sur cet ouvrage diversifié et plutôt sympathique, en attendant les prochaines !