Ce roman est constitué de quatre récits qui s'enchevêtrent pour tisser une intrigue chatoyante. Il y a d'abord l'asura, cet être qui naît à la conscience à partir de rien, ou du moins en a-t-on l'impression pendant la plus large part du roman ; puis Gadfium, la savante en chef, qui appartient à une conspiration de savants et d'intellectuels convaincus que le pouvoir temporel, constitué du Roi et du Consistoire, n'est pas assez actif dans la préservation de la vie sur Terre ; puis le comte Sessine, qui en est à sa huitième mort dans le monde réel et à sa septième dans la Crypte, le monde virtuel, avant d'éviter in extremis sa huitième, là aussi, qui serait l'ultime avant sa disparition définitive ; enfin, il y a Bascule, un jeune garçon, Raconteur surdoué, qui vit entre le monde réel et la Crypte, et qui communique en phonétique.
Tous ces personnages hétéroclites, mais bien caractérisés et facilement identifiables pour le lecteur, vont jouer leur rôle dans la lutte contre la Dévoration, une sorte de nuage noir venu de l'espace profond, qui s'apprête à envelopper le système solaire de ténèbres qui à terme détruiront toute vie sur Terre en y provoquant une glaciation. Or, il n'est plus possible de quitter la planète, car ceux qui y survivent, dans ce très lointain futur, sont les descendants de ceux qui ont Renoncé à partir dans les étoiles, et ont logiquement détruit tous les moyens pour ce faire.
Certes, l'extrême longévité, et la survie dans un monde virtuel après la vie physique, n'est pas plus une idée originale que la peinture d'une Terre plus si éloignée de la mort de son soleil. On aurait toutefois tort d'éliminer d'emblée ce roman. D'abord, parce que le talent de l'auteur de la Culture y est tout autant à l’œuvre qu'ailleurs, et ensuite parce qu'il se révèle original dans les détails. Ainsi, les différents niveaux, et les personnages, "humains", animaux ou chimériques, de la Crypte fourmillent d'inventivité. On retrouve aussi ici l'humour discret de l'auteur, qui s'amuse avec ses personnages, et qui nous amuse aussi avec leurs aventures improbables, aux cliffhangers perpétuels, que n'aurait pas reniées un feuilletoniste du XIXe siècle.
Que les amateurs de SF pure et dure soient toutefois avertis qu'on est ici très proche de la fantasy. Si "La science-fiction, c'est de la fantasy avec des boulons", selon la formule provocante de Terry Pratchett, on en a ici un bel exemple. Enfin, ceux qui sont comme moi imperméables au langage SMS, ou à la phonétique quand il s'agit de décrypter une histoire, auront peut-être autant de mal que j'en ai eu à accrocher au récit à cause des interventions de Bascule, dont le titre donne un exemple.
Pour tous ceux qui sont à la recherche d'une histoire originale et racontée de main de maître, servie par une traduction, de Anne-Sylvie Homassel, digne de tous les éloges, et complétée par une postface à la fois plaisante et intéressante de Jean-Luca A. d'Asciano, directeur des éditions L'Oeil d'or, qui avait publié la version en grand format du roman, foncez, c'est du bon ! C'est du Iain M. Banks, c'est tout dire...