Les Chroniques de l'Imaginaire

Julia Verlanger (Galaxies SF - 58)

Le numéro 58 de Galaxies porte le nom de la célèbre auteure française de science-fiction Julia Verlanger, de son vraie nom Éliane Taïeb née Grimaître, aussi connue sous le pseudonyme masculin de Gilles Thomas

Je tiens dès le début à faire une sorte de disclaimer général : je suis malheureusement mauvais public pour les nouvelles post-apocalyptiques très sombres. Il y a déjà tant de sources de préoccupations dans le monde actuel que j’ai toutes les peines du monde à lire des choses angoissantes, certes reflets de la réalité, mais inventées. Je suis une lectrice « totale », lire des choses déprimantes peut vraiment ruiner mon moral, même une fois l'ouvrage refermé… On pourrait juger étrange d’aimer la science-fiction quand on n’aime pas trop les histoires tristes mais heureusement, elle ne se réduit pas à cela ! Et ce numéro nous le montre d’ailleurs bien avec quelques touches d’humour ça et là. Cependant, il comprend aussi sa part de noirceur, surtout dans les nouvelles de Julia Verlanger. Chaque fois qu’une nouvelle est un peu sombre, vous pouvez considérer que je ne l’ai lue qu’à contre-cœur et je n’en ferai donc pas de commentaires trop détaillés car cela ne présume en rien de la qualité de la dite nouvelle ! 

Le numéro rassemble tout d’abord six nouvelles, hors dossier.

Ceux qui restent, de Ken Liu
Dans cette nouvelle, l’auteur s’interroge sur la possibilité de télécharger l’âme humaine sur des serveurs informatiques. L’âme survit-elle à ce transfert ? Est-on toujours la même personne ? Serait-ce une évolution de l’humanité ou un désaveu de ce qui fait son essence et sa beauté, sa mortalité ?
Dans cette nouvelle poignante, un homme tente de survivre dans un monde déserté par les humains traditionnels et de soustraire sa famille à l’influence des familles, qui font tout pour les convaincre d’abandonner leur essence physique. Tout est très bien maîtrisé. On ignore qui a raison ou tort, quelle voie est la plus juste et il ressort de ces quelques pages une détresse immense qui ne laisse pas indifférent. Il s’agit également d’une belle réflexion sur l’amour filial et le libre-arbitre. 

La fille qui saigne, de Shweta Taneja
Dans un futur post-apocalyptique, la fertilité des femmes s’est effondrée. Celles qui « saignent », qui ont leurs règles et sont fertiles, sont considérées comme des pouliches, des reproductrices et sont vendues aux enchères. Asim est justement un homme sur le point de vendre une de ses filles, qui vient d’avoir ses règles à onze ans.
La thématique de cette nouvelle est aussi sombre que celle de la précédente. Elle ne comprend aucune violence graphique, son rythme est maîtrisé de même que sa chute. 

Le nouveau superviseur, de Jean-Pascal Martin
Cette nouvelle comptait parmi les finalistes du prix Alain Le Bussy, organisé par la revue, en 2018. Elle nous emmène à la découverte d’une planète minière où les rôles entre femmes et hommes sont inversés. Les femmes ont la capacité de s’adapter à l’atmosphère, de devenir des « respireuses », incapables de revenir à l’air normal des humains par la suite. Les hommes en revanche n’en sont pas capables sans mutation. Les femmes, privées de compagnie masculines, ont donc tendance à adopter des attitudes sexistes, à coup de posters d’hommes objets et de blagues graveleuses. Lorsqu’un nouveau superviseur arrive, les ouvrières apprennent qu’elles vont devoir renoncer à leurs fantasmes pour être encore plus productives, ce qui ne passe pas exactement comme une lettre à la poste.
Cette touche d’humour après deux nouvelles sombres est tout à fait bienvenue. D’habitude, je ne suis pas trop fan des inversions de genres mais celle-ci fonctionne vraiment très bien. Le ton de la narratrice, sans concession, nous met vite dans l’ambiance et ne rend la lecture que plus distrayante.

L’Amour dans les brumes du futur, d'Andrei Marsov
Comme l’explique Patrice Lajoye dans la préface, Retour vers le futur #1, la revue Galaxies souhaite rééditer à chaque numéro ordinaire de sa série une nouvelle datant d’avant 1948, suivie d’un commentaire. La première nouvelle choisie est russe et date de 1924.
L’Amour dans les brumes du futur
se situe en 4560. Dans cette version du futur, les pensées et pulsions sont contrôlés par le Conseil de la Raison Universelle à l’aide des mystérieux rayons ultra de Ramsovski. Ce contrôle a anéanti la criminalité ou impulsions mauvaises pour laisser la place à un travail investi et fraternel. Jerry, un jeune homme, a rencontré Doney dans la rue. Depuis, il sent troublé mais le déséquilibre psychique est si subtil qu’il n’alarme tout d’abord pas les fonctionnaires en charge du contrôle des émotions. Les jeunes gens se revoient et Jerry doit maintenant se rendre au Palais de la Grande Connaissance pour passer des examens et connaître sa peine.
On ne peut que trouver le ton de cette nouvelle particulièrement caustique lorsqu’on connaît son contexte d’écriture, peu de temps après la Révolution Russe. Si le dénouement n’est pas des plus heureux, le ton est cependant léger et l’ensemble divertissant.

Immersions, de Stéphane Miller
Cette nouvelle est exclusivement accessible dans l’édition numérique.
Dans un futur proche, Nova, une jeune lycéenne, s’est laissée embarquer dans un jeu addictif par une ancienne de son lycée, Tonie. Depuis trois mois, elle dit aller mieux et nage tous les jours dans la piscine du toit de son immeuble. Toujours inquiets, ses parents lui offrent un dauphin rose transgénique, connu pour aider les jeunes en difficulté.
Voici à nouveau une nouvelle assez glaçante, sur une adolescente en voie de perdition.

Casus Belli, de Thierry Faivre
Cette nouvelle est exclusivement accessible dans l’édition numérique.
Un vaisseau spatial détecte la présence d’un humain dans une zone particulièrement conflictuelle de l’espace, où rôdent les OutcHimaks. Le commandant Levin va devoir tenter de récupérer d’urgence l’inconscient avant le déclenchement d’un conflit armé.
Cette nouvelle emplie d’humour nous montre comment on peut se laisser embarquer dans une psychose irrationnelle. 

Le numéro se compose ensuite d’un dossier spécial sur l’auteure comportant quatre nouvelles dont deux de Julia Verlanger elle-même, de trois articles, d’une interview de l’auteure, d’extraits de sa correspondance avec Michel Jeury, d’un entretien avec Bruno Lecigne, ainsi que d’une bibliographie permettant d’aller plus loin.

Croisière au long du fleuve, de Didier Reboussin
L’auteur nous livre dans cet article les quelques renseignements biographiques connus autour de cette auteure aux identités multiples avant de nous raconter les souvenirs personnels qu’il conserve d’elle.Cette entrée en matière est tout à fait bienvenue pour les lecteurs n’étant pas familiers de l’auteure.

Une jungle de diamants, de Xavier Dollo
Cet article accompagnait la réédition intégrale des œuvres de Julia Verlanger en 2008 par les éditions Bragelonne. L’auteur resitue le travail de Julia Verlanger dans son contexte littéraire et nous éclaire sur son positionnement tout personnel, sur ses influences et sur les similarités des personnages verlangiens. Toutes ses indications sont bienvenues, à la fois pour ceux qui n’auraient lu qu’une partie des œuvres de Julia Verlanger et pour ceux qui la découvrent avec ce dossier.

La voix au téléphone, qui me parlait du futur, de Serge Brussolo
Cet article accompagnait également la réédition des textes de Julia Verlanger par Bragelonne. L’auteur nous fait part de ses appels téléphoniques échangés avec Julia Verlanger au début des années 80 et, plus généralement, de ses souvenirs d’elle.

Entretien avec Bruno Lecigne, de Didier Reboussin
À travers une série de questions, cet article explore la genèse de l’adaptation en bande dessinée des textes de Julia Verlanger, commencée en 2006 par les Humanoïdes Associés, une autre manière intéressante de découvrir son univers. 

Interview de Julia Verlanger, par Hans Claudius Platt
Cette interview de 1966, publiée dans le numéro 20 de la revue Lunatique, nous permet de découvrir Julia Verlanger à travers ses propres mots.

De même que les Correspondances entre Julia Verlanger et Michel Jeury qui suivent directement cette interview.

Les rois détrônés, de Julia Verlanger
Dans un futur proche, la jeunesse a tous les droits, celui d’étudier ou non, de voyager ou non…Tout leur est permis. Cependant, l’apparition d’une nouvelle drogue baptisée « drogue d’immortalité » pourrait remettre en cause ces privilèges. Ivvi, seize ans, et Harald, dix-huit ans, ont fait la route ensemble jusqu’à Chartres et vont l'apprendre à leurs dépens.
C’est incontestablement bien écrit. Cette nouvelle est sombre et sa fin violente. 

Répression, de Julia Verlanger
Priay a été élu sur un programme prônant l’ordre. Peu après, la répression commence, notamment pour les étudiants, dont fait partie le narrateur.
Cette nouvelle est, comme on peut s’y attendre, très violente, avec des scènes de torture.

Après moi le déluge, de Didier Reboussin
Dans cette nouvelle, l’auteur rend hommage aux ouvrages de Julia Verlanger sur des mondes « rétro ». La planète de Gadoue est soumise à une pluie incessante mais riche en pétrole. En raison de l’ivresse de son valet et d’un accident de chariot, Léon, clown de son état, se perd près d’une exploitation de pétrole. Il y trouve vite une occasion de s’enrichir.
Une nouvelle agréable qui interroge l’idée de consommation des ressources.

Guarden, de Thomas Geha
Dans cette nouvelle, c’est l’aspect post-apocalyptique de Julia Verlanger qui est rappelé. Plusieurs années après l’effondrement de la civilisation, un homme est en route vers la mer. En chemin, il se fait agresser et se retrouve prisonnier dans le « terrier » d’une vieille femme étrange. Une nouvelle rafraîchissante avec un narrateur dur à cuire.

Enfin, le numéro 58 de Galaxies comporte également des articles. 

Musique et SF, de Jean Michel Calvez
Cet article évoque le dark ambient à travers notamment les œuvres de Brian Lustmord

La Bio-mimétique, de Pierre-Emmanuel Fayemi
Cet article nous renseigne sur la biomimétique, c’est-à-dire l’art de s’inspirer de la nature, de la biologie, pour innover. On découvre que les produits biomimétiques sont présents dans notre vie quotidienne sous des formes diverses, par exemple dans les transports ou l’architecture. 

Les entretiens avec des professionnels de l’innovation, réalisés par Giacomo Bersano, poursuivent cette exploration des méthodes d’innover. Les entretiens de ce numéro ont été menés auprès de Jean-François Duroch, directeur innovation du groupe TechnipFMC, leader sur secteur pétrole & gaz, Cesare Marchetti, scientifique spécialiste de l’analyse de systèmes et des modèles prévisionnels, Philippe Dewost, directeur de Leonard, plateforme de prospective et d’innovation du groupe Vinci, Umberto Giovannini, ancien responsable du département R&D des Systèmes Maritimes de SAIPEM, Daniel Cornic, ingénieur systèmes et inventeur de la division Systèmes de Transport d’Alstom et Franco Guzzi, directeur adjoint de Cohn & Wolfe Italie, ex-président d’Assorel

Sous le Scalpel du Docteur Stolze, de Pierre Stolze
L’auteur passe au crible des romans de fantasy pour constater s’ils respectent ou non le « cahier des charges » du genre. Le premier roman analysé est celui de Gabrielle DuBasqui, An Mil, l’Année du Dragon, qui se déroule dans le passé de notre monde, sur l’île de Skye. Le second, Les Coryphèles de l’Empereur d’Eric Lysøe prend également place dans le passé de notre monde réel. Le troisième, J’ai 10 ans, ma vie sera extraordinaire de Bertrand Bény, est l’histoire d’enfants pouvant entrer en contact avec le monde de l’antimatière. Enfin, Le 6e Monde de Xavier Thébault est un ouvrage de SF et se situe dans un monde où les végétaux meurent lentement, à l’exclusion des bambous.

Les notes de lecture, coordonnées par Laurianne Gourrier, nous offrent une vingtaine d’autres pistes de lecture, suivies des conseils d’album de bandes dessinée de Fabrice Leduc.

Au final, j'ai apprécié de lire les articles portant sur Julia Verlanger mais le caractère très violent et pessimiste de ses propres nouvelles va plutôt me conduire à éviter son œuvre. Ce fut par ailleurs agréable de découvrir des auteurs maniant l'humour et le second degré dans d'autres nouvelles.