Herus Tork sait ce qu'il veut faire de l'École, et que rien ni personne n'aura le pouvoir de l'arrêter une fois qu'il sera à sa tête. Et que Merot soit le directeur actuel est une condition transitoire, cependant que ses deux premiers Adjoints ne lui succèderont pas pour longtemps. Son ambition rencontre celle du jeune prince, Orhgon, qui piaffe en attendant de succéder à son père.
Pendant ce temps, la vie des jeunes élèves de la Haute-École, où ils sont censés apprendre à utiliser les dons de magie qu'ils possèdent afin d'en faire profiter le Royaume entier, devient encore plus misérable. Sauf pour Raoul des Crapauds : certes, il n'a jamais voulu être là, d'autant que son don rare, celui de communiquer avec les animaux, est considéré avec mépris à la fois par ses condisciples plus doués et par ses professeurs, mais depuis qu'il est affecté aux cuisines, il se sent heureux et à l'abri. Toutefois, le jour où il découvre qu'il existe un magicien dissimulé au palais, et que de surcroît il s'agit d'Arik Renshaw, dont tous pensent qu'il est l'amant d'Orhgon, il n'hésite pas à le dénoncer à Tork, dans l'espoir d'une récompense.
Mais Arik Renshaw n'est pas totalement isolé : d'abord, il n'est pas le seul magicien à hanter discrètement la cour, et moins encore la ville et le pays, mais surtout il y a un bon nombre de gens mécontents de la façon dont le royaume est gouverné. Certes, pour la plupart, la sujétion totale des magiciens est une donnée de base, mais cela pourrait bien changer.
Que ceux qui s'imaginent trouver ici une version sombre de Roke ou de Poudlard (une sorte de Durmstrang, peut-être ?) oublient cette idée tout de suite ! Certes, la Haute-École de magiciens est au cœur du roman, mais le lecteur ne saura rien de ce qui s'y passe au quotidien. D'un côté, c'est frustrant. D'un autre, et compte tenu du seul aperçu qu'on en a, c'est peut-être aussi bien. Les professeurs ne sont pas plus détaillés que les matières qu'ils sont supposés enseigner. En effet, et c'est là la différence majeure avec les univers créés par Ursula K. Le Guin ou J.K. Rowling, dans celui de Sylvie Denis les magiciens ne sont que des objets. Des outils, que l'on achète et que l'on jette une fois qu'ils sont épuisés ou devenus fous. La fonction de la Haute-École, c'est de prendre des enfants avec des dons particuliers, certes, mais qui sont quand même des enfants, pour cultiver les dons en question et leur apprendre à les mettre au service de leur futur patron. Ainsi, un enfant qui par exemple aura une affinité avec l'élément Feu devra épuiser ses nuits à donner de la lumière dans un lieu donné : c'est un Éclairant. Les plus doués deviendront des Chasseurs, c'est-à-dire qu'ils seront chargés de repérer d'autres enfants comme ceux qu'ils ont été.
La plus grande partie du roman tourne autour de ces deux personnages majeurs que sont Herus Tork et Arik Renshaw, plus quelques figures secondaires, tels Sargh ou Elisabeth de Siff. On pourrait dire que c'est manichéen, tout se jouant entre le personnage christique d'Arik et cette sorte de psychopathe qu'est Tork, avec Elisabeth de Siff jouant les utilités. L'idée des dieux partis, mais ayant laissé derrière eux un Gardien et des sortes d'émanations d'eux-mêmes, est toutefois intéressante, et c'est ce qui fait à mon avis l'originalité de ce premier roman d'une auteure peu prolifique, mais au style pur et aux intrigues délicatement hors des sentiers rebattus.
Si vous aviez manqué l'occasion de lire ce roman à sa sortie, c'est une bonne idée de profiter de cette réédition pour lui donner sa chance.