A Oakland, au moins dans le quartier où vivent les immigrés indiens, tout le monde connait Tilo, cette vieille femme qui tient cette étrange épicerie, plus grande qu'il n'y semblerait de dehors. Certains, qu'elle a aidés grâce à ses épices, la croient même un peu sorcière. En tout cas, on sait qu'elle est toujours prête à aider. On ne sait pas qu'elle y a été formée, et qu'elle s'est engagée auprès de la Vieille, la Première Mère, loin sur cette île voisine de l'Inde, inaccessible sauf à celles qui ont la capacité d'entendre les épices. Car les épices parlent, il n'est que de les écouter. Chaque humain a son épice-racine, celle qui lui correspond intimement, et à laquelle se marieront éventuellement les épices "ponctuelles".
Mais, et la Première Mère l'a toujours su, Tilo est à la fois orgueilleuse, rebelle, et trop compatissante pour son propre bien. Elle a le plus grand mal à ne pas s'attacher à certains de ses clients, ainsi de Haroun, qu'elle a aidé un peu par inadvertance, et non sans inquiétude, mais pour lequel elle sort un jour de sa boutique. Et c'est sa première transgression. Ainsi de Jagjit, pour qui les épices qu'elle donnera afin d'aider ce petit garçon timide, souffre-douleur de ses camarades de classe, auront une action et des conséquences inattendues, qu'elle tentera de réparer. Ainsi du grand-père de Geeta. Quant à cet "Américain solitaire" si séduisant qui semble la voir, elle, au-delà de cette enveloppe de chair peu attirante, et entre un jour dans sa boutique, elle y pense beaucoup trop pour son propre bien.
Ce roman est totalement dépaysant ! Il introduit en douceur à une culture complexe, millénaire, très différente de la nôtre. Non seulement par le rapport aux épices, bien sûr, mais aussi par les histoires des personnages du quartier où se déroule l'histoire, tous variés et hauts en couleurs, des filles-bougainvillées à Lâlithâ, en passant bien sûr par Jagjit ou Kwesi. Même les personnages secondaires sont ciselés, ont une présence particulière.
La Vieille, au début, m'a vaguement évoqué le Vieux de la Montagne, mais c'est une comparaison fausse, en ce que ses élèves sont envoyés dans le reste du monde pour faire le bien, et qu'ils ne sont les servants d'aucune volonté humaine, mais ceux des Epices. C'est ce qui m'a poussée à classer ce roman en fantastique, ainsi que l'histoire de Raven, bien sûr, qui nous est un peu plus familière, mais un lecteur de littérature blanche pourrait aussi aimer ce roman très original. Pour ma part, la seule chose qui m'a vraiment gênée, c'est la fin que j'ai trouvée trop rapide. Cela dit, je ne suis pas une lectrice de contes, ce n'est pas un genre que j'apprécie, et peut-être faut-il envisager cette fin dans cette optique. Ce qui est sûr, c'est que je vais m'empresser de lire d'autres textes de cette auteure !