Les Chroniques de l'Imaginaire

Les Ombres d'Esver - Lanero Zamora, Katia

Depuis dix ans, Amaryllis vit recluse avec sa mère dans le domaine d’Esver. La nuit, elle est agitée de cauchemars étranges qui la terrorisent et l’obligent quotidiennement à prendre des médicaments. Le jour, elle étudie la botanique pour intégrer le prestigieux Institut Théophraste d’Erésos. Ce sujet ne la passionne guère mais est le cheval de bataille de sa mère, Gersande.

Gersande est une femme usée par les ans, rongée par son obsession de faire entrer sa fille à l’Institut et par les efforts qu’elle déploie pour créer une plante immortelle, l’Éternelle. Une nuit, mère et fille se disputent. Amaryllis omet alors de prendre son médicament et découvre à la faveur de la nuit un autre domaine d’Esver, un univers où cohabitent des dragons, des ombres maléfiques ou encore des bucentaures, c’est-à-dire des êtres mi-homme, mi-taureau.

La citation de Châteaubriand en début d’ouvrage éclaire sur une thématique de l’ouvrage : l’isolement d’un enfant engendrant à la fois la frayeur et le développement, peut-être, de son imagination. Le style d’écriture de Katia Lanero Zamora n’a en revanche pas grand-chose à voir avec celui de Chateaubriand. Exit les phrases longues et bonjour les phrases plus courtes, davantage plaquées sur le langage oral. J’avoue ne pas être contre un style plus léger que celui du fameux auteur. En revanche, je l’aurais préféré un peu moins « parlé » puisque la narration s’effectue à la troisième et non à la première personne.

Cette première impression passée, on découvre avec plaisir le quotidien à la fois énigmatique et monotone de la protagoniste. La vieille bâtisse est à l’abandon depuis le début de la réclusion des deux femmes et on a bien sûr hâte d’en apprendre plus sur l’origine de cet isolement. Les interactions entre mère et fille sont également teintées de mystère. On sent dès le départ qu’elles ne sont pas sur la même longueur d'onde et que de nombreux non-dits empoisonnent leur relation.

J’ai été agréablement surprise quand la narration est passée d’Amaryllis à Gersande à l’occasion du deuxième chapitre. Ces changements de narration sont rares au cours du récit, l’action restant principalement centrée sur Amaryllis, mais apportent chaque fois de la fraîcheur à l’intrigue. Les passages narrés du point de vue de Gersande sont particulièrement utiles pour contrebalancer le point de vue, souvent dur, de son adolescente de fille à son égard. Les deux héroïnes sont attachantes, chacune pour leurs propres raisons, et leur relation crédible.

Le récit contient aussi de nombreux passages, narrés du point de vue d’Amaryllis, mais se déroulant dans un univers merveilleux accessible seulement la nuit et parallèle à celui de son quotidien. Ces passages m’ont, au début, moins intéressée tellement j’appréciais les interactions entre Amaryllis et Gersande.

La comparaison avec Alice au Pays des Merveilles vient spontanément à l’esprit pour les passages fantastiques, à la différence que le clocher d’une horloge sert ici de terrier de lapin. On ignore si la protagoniste rêve, est folle ou si tout existe d’une manière ou d’une autre. L’auteure est d’ailleurs particulièrement douée pour brouiller les pistes, dévoiler une partie de la vérité seulement et ne dévoiler la vraie nature de l’intrigue que dans les chapitres finaux. Le dénouement est à cet égard particulièrement bien mené et jouissif pour tout lecteur s’étant attaché aux personnages. Cela donne même envie de se replonger dans l’univers en ayant toutes ses clefs de compréhension pour repérer ce qui aurait pu nous mettre la puce à l’oreille !

Les Ombres d'Esver est un ouvrage qui plaira aux amateurs de contes fantastiques dans la lignée des romans gothiques, de maisons aux lourds secrets mais aussi d’héroïnes fortes et courageuses.