Les Chroniques de l'Imaginaire

Les fragments perdus (Chronique des Terres d’Eschizath - 1) - Milan, Brice

Face à la puissance de l’armée du Prince Noir, Morgaste, les Terres d’Eschizath sont condamnées. A moins de quémander de l’aide auprès du royaume des Hisles ? Trois messagers sont envoyés secrètement et de toute urgence : Horst, un garde de l’Ordre ; Alceste, un apprenti boulanger qui s’est porté volontaire sous le coup de la boisson ; Oriana, une jeune voleuse qui espère échapper ainsi à sa peine. Ils sont les derniers espoirs contre l’envahisseur sanguinaire, qui ne tarde pas à envoyer ses fidèles Maraudeurs à leurs trousses...

Présenté comme cela, on se pose beaucoup de questions : pourquoi avoir attendu que la capitale soit assiégée pour solliciter des renforts, qui ne pourront certainement pas arriver à temps pour retourner la situation ? Pourquoi confier une mission aussi stratégique à des adolescents inexpérimentés, alors qu’il s’agit de survivre à la dure (chasser pour se nourrir, dormir dans la neige…) en traversant lac maudit, forêt infestée de bêtes sauvages et montagnes enneigées, par un froid glacial ? Comment espère-t’on que les renforts convoités franchissent lesdits obstacles au retour ?
L’auteur fait fi des difficultés : ainsi, là où trois messagers sont passés à grand peine, l’armée avancera comme une fleur, simplement précédée par des éclaireurs qui vont construire un pont sur le lac et dégager une large voie dans la forêt le temps de le dire, là où on compterait en mois dans la vie réelle...
Ce n’est que le début, tout le reste du scénario est à l’avenant.

Les personnages m’ont semblé très manichéens : les gentils sont tous très gentils, loyaux et courageux ; les méchants sont tous plus vils les uns que les autres. Aucun des personnages ne prend jamais la peine de réfléchir à deux fois, ils se lancent tous tête baissée dans l’action. Le rythme est très soutenu, avec des retournements de situation incessants, mais qui m’ont toujours paru si peu crédibles que je n’ai jamais réussi à accrocher. Les héros nouent des amitiés indéfectibles en quelques jours voire quelques heures, idem pour trouver l’amour de leur vie. Les blessés au seuil de la mort sont bien souvent remis sur pied en quelques jours, voire quelques heures là encore.
Tout est ficelé de manière bien facile, il n’est pas de jour - dans le temps du récit - où je n’ai été éberluée par les réactions inconsidérées des personnages.
Sans compter les nombreuses questions qui me restent après la lecture, du genre comment un noble expatrié peut devenir Pair du Royaume dans le pays voisin, ou pourquoi Morgaste en veut à ce point à Alceste au début du roman, alors qu’il ignore encore qui il est et le considère comme un garçon sans intérêt.

L’intrigue comporte une dose de fantastique, en l’objet de fragments de météorite (les fameux fragments du titre de l’ouvrage) qui confèrent des super pouvoirs. Certains personnages ont une affinité particulière avec ces fragments fabuleux, qui leur prêtent toutes sortes de dons, qu’ils soient physiques (possibilité de destruction autour d’eux, guérison...) ou mentaux (précognition, lecture dans les pensées ou capacité de savoir où sont leurs amis à distance, par exemple). Leur possession est l’enjeu des conflits qui ravagent les Terres d’Eschizath et le royaume des Hisles. Un peu facile, là encore.

Dans les points positifs, la plume de l’auteur est agréable, on sent que le texte a été travaillé tout du long. Du coup, cela se lit plutôt bien.
Mais cette recherche de style n’est pas sans causer quelques problèmes également. Les dialogues utilisent le même registre soutenu que la narration, ce qui les rend peu naturels. L’effort pour varier le vocabulaire fait parfois sourire : qualifier un loup de “canidé” ou de “sale bête”, pourquoi pas, mais je tique quand il est affublé du terme “fauve”, qui désigne à ma connaissance les grands félins.
Enfin, ce vocabulaire souvent excessif met à mon sens trop d’emphase dans l’action : les personnages sont “excédés” à la moindre contrariété, “exténués” à la moindre fatigue. Même dans les dialogues, la plupart des interventions des protagonistes sont des exclamations. Cela fait trop, un peu comme les gestes démesurés d’acteurs de théâtre qui veulent être visibles depuis les derniers rangs.

Si vous recherchez l’aventure, avec des héros plein de bons sentiments et une dose de magie, et qu’en plus vous appréciez un vocabulaire un peu soutenu, ce livre est pour vous. Si vous êtes très sensibles à la cohérence et la plausibilité du récit et aimez découvrir un univers pensé dans ses moindres détails, vous risquez comme moi la déconvenue.