Victor Barren est un physicien génial. De ce fait, il trouve normal que sa femme vive pour le servir et que son fils, Tom, ne cesse de le décevoir. En fait, la seule réussite dudit fils - totalement accidentelle - est d'être compatible avec Pénélope Weschler, la chrononaute vedette de l'équipe qui met au point la machine à voyager dans le temps afin d'assister à la mise en route du Moteur de Goettreider, invention géniale d'un (autre) physicien génial, sur laquelle est basé le monde moderne. Comme n'importe qui aurait pu s'en douter, Tom va tout faire foirer et empirer la situation, bien sûr, en voulant l'améliorer.
En effet, quand il se retrouve dans le labo de Goettreider, ce fatal 11 juillet 1965, il fait échouer l'expérience, même s'il évite au moins un cataclysme majeur en ayant le bon réflexe au bon moment. Mais la procédure de retour d'urgence qui se déclenche l'amène vers un futur qui n'a rien à voir avec celui d'où il vient. Dans cet univers alternatif, qui ressemble bien plus au nôtre, il s'appelle John Barren, est un architecte novateur au talent reconnu, et sa mère est le parent dominant. Tout irait pour le mieux, d'une certaine façon, s'il ne se reprochait pas la disparition de ceux qu'il aimait dans son univers d'origine, et s'il n'était pas inconfortable, voire dangereux, d'avoir deux personnalités se partageant un seul corps.
Premier roman d'un jeune auteur canadien, plus connu comme scénariste, Tous nos contretemps souffre à mon sens d'une absence de définition claire. En tant que lectrice de SF depuis quelques décennies, j'ai évidemment lu mon lot d'histoires de voyages dans le temps, dont les justement célébrissimes Replay de Ken Grimwood et Une porte sur l'été de Robert Heinlein, pour ne citer que les plus connus. Du coup, mes attentes dans le domaine sont sans doute trop élevées, ou biaisées.
Mais autant j'ai pu lire sans déplaisir ce roman d'Elan Mastai, malgré une mise en place de l'action d'une longueur que j'ai trouvée accablante, et un protagoniste principal pénible à suivre pendant la moitié du roman, autant je trouve que le voyage dans le temps est mal géré. En effet, la deuxième fois que Tom voyage dans le temps, parfois il a un corps (assez pour tenir une machine temporelle), parfois il n'en a pas (puisqu'il se retrouve dans le corps de sa version précédente). Et qu'il revienne en 2016 à l'endroit d'où il venait de partir, alors qu'il a activé la procédure automatique de retour d'urgence du seul corps dans lequel il se retrouve, est encore plus impossible. Du coup, il faudrait le réserver à un public qui n'est pas familier du thème, et qui n'est pas habituellement lecteur de SF.
Il reste alors un roman plutôt agréable à lire, au rythme vif, et dont les touches d'humour sont bienvenues. L'évolution du personnage principal n'est pas inintéressante, quand elle commence enfin, et les personnages secondaires sont assez caractérisés, avec une mention spéciale pour les "génies" que sont Victor Barren et Lionel Goettreider, sur lequel l'auteur démontre de façon crédible l'action d'une vie de secret, et de ressentiment pour son échec. D'autre part, les différents futurs évoqués à partir de 1965 sont eux aussi crédibles, et j'ai trouvé délicieusement ironique que ce soit dans le monde le plus "futuriste" que l'on trouve l'épouse la plus traditionnellement soumise, ce qui bien sûr donne une touche d'irréalité à cet univers.
En somme, pour un lecteur "neuf", et qui ne serait pas rebuté par le petit aspect faussement hard-SF des explications technologiques, cette histoire optimiste est un bon choix de distraction.