Les Chroniques de l'Imaginaire

Le démon soleil - Jeyaseelan, Anusha

La cité de Drashkar est le témoin silencieux des bouleversements du monde. Créée par Lucifer, elle est peuplée de démons qui trompent leur ennui immortel en luttes intestines ou en influences néfastes sur les humains. Une nuit, l’impensable se produit. Lucifer lui-même est détrôné par un autre démon, Belzebuth. Avant sa mort, Lucifer se venge en instillant une émotion humaine dans le cœur même du frère de Belzebuth. Devenus opposés, les deux frères vont déclencher un cataclysme sans précédent pour l’humanité.

Des siècles plus tard, Drashkar est de nouveau le théâtre de luttes familiales, entre deux frères encore puis entre un père et sa fille, qui ébranlent encore une fois l’équilibre du monde tout entier. 

Autre témoin silencieux, le royaume de Moksha, purgatoire des âmes ni entièrement bonnes ni entièrement mauvaises, voit continuer cet affrontement familial dans l’au-delà. Il est par la suite aux premières loges pour assister au délitement d’un amour impossible entre une mortelle et une âme prisonnière de son territoire, à leur descente aux enfers et à leur quête d’une nouvelle stabilité.

Qu’il est délicat de résumer ce roman sans trop dévoiler l’intrigue ! Le démon soleil se compose en réalité de trois livres, de tonalités différentes. 

Le premier, le crépuscule des immortels, est une sorte de cosmogonie. Il nous décrit une succession de genèses et d’apocalypses, centrée sur les actions des démons. En cela, il s’inspire de textes bibliques mais aussi de différentes mythologies (grecque, aztèque…) qui font référence à plusieurs grandes ères du monde, avec des renversements de leurs dirigeants et des cataclysmes. L’ensemble du roman semble d’ailleurs vouloir rassembler différents types d’univers mythologiques dans un même récit cohérent. Je dois avouer ne pas être assez versée sur le sujet pour saisir toutes les inspirations du récit mais cette relative ignorance ne m’a pas posé de problème à la lecture.

Le second livre, l’aube des temps, emprunte davantage au récit épique ou à la saga tandis que le troisième, l’obsolescence du réel, évoque un peu plus le conte. Il s’agit peut-être là d’une volonté de l’auteure de suivre une progression « historique » dans la manière de raconter des histoires. Si l’évolution du monde est toujours au cœur de l’action, on perd peu à peu le regard très extérieur du premier livre pour se rapprocher des personnages et de leurs motivations. Au fil des livres, le manichéisme des personnages s’estompe aussi quelque peu pour que, dans le troisième, chaque personnage contienne une part de noirceur et une possibilité de pardon.

Hormis le caractère disparate des livres qui pourra surprendre et ne lui aurait sans doute pas permis d’être publié de manière traditionnelle, le roman est de bonne facture. Je n’ai repéré qu’un à deux problèmes de formulation dans ce texte par ailleurs très dense. L’auteure s’attache à décrire son univers avec un luxe de détails, ce qui rend la lecture un peu pesante par moments mais contribue également beaucoup à la qualité de son récit. 

Le premier livre est celui que j’ai le moins apprécié. En effet, il ne relate pas une histoire mais l’histoire d’un monde en suivant les principaux artisans de ses changements, sur plusieurs millénaires. Par conséquent, les changements sont assez rapides. On peut passer plusieurs siècles d’un coup en quelques paragraphes. Les alternances entre personnages sont aussi nombreuses dans les tout premiers chapitres : on n’en croise certains que quelques pages malgré leur importance dans les événements. Le fait de suivre l’histoire de l’univers plutôt que celle d’un personnage en particulier est donc au départ un peu perturbant. Bien qu’on parvienne à s’y retrouver sans trop de problème, le livre I dégage donc parfois une impression de lourdeur, de densité.

Cette impression se dissipe vers la moitié du livre I avec l’emphase mise sur les personnages d’Asmod, d’Albin, d’Esa et d’Azriel. Ces derniers sont bien sûr au cœur des événements agitant le monde mais sont mieux campés que leurs prédécesseurs. On aurait presque eu envie que l’auteure présente la première partie du livre I de manière séparée et commence son roman par leur histoire. Les premières pages sont en effet assez décourageantes alors que la lecture devient plus légère lorsqu’on se met à suivre des personnages sur un temps plus long. Le deuxième livre est donc de lecture bien plus facile que le premier car les enjeux pour les personnages y sont plus clairs. Il s’agit bien plus de raconter leur rédemption – ou non – que l’histoire de l’univers.

Le troisième livre est encore de lecture plus aisée. Il fait appel à certains personnages et à des concepts vus dans les livres précédents mais pourrait presque se lire de manière indépendante. C’est dans ce livre qu’on est le plus proche des personnages et qu’on comprend peut-être le mieux la raison de certaines de leurs actions. On a aussi l'impression de baigner dans une autre culture, plus asiatique, là où la précédente faisait peut-être plus appel à un univers grec ou scandinave.

En résumé, mon avis sur ce roman a grandement évolué au cours de ma lecture. Le premier livre a vraiment été laborieux pour moi, puis j’ai lu le deuxième livre sans déplaisir et me suis surprise à vraiment apprécier le dernier livre. Je pense que le premier livre devrait beaucoup plaire aux amateurs de mythologie les plus ardents tandis que les deux autres sont susceptibles d’attirer un lectorat plus large, habitué de la fantasy ou du fantastique. C'est un réel mérite de l'auto-édition que de permettre la lecture de ce type de textes atypiques mais néanmoins prenants.