Les Chroniques de l'Imaginaire

Mes vrais enfants - Walton, Jo

Nous sommes en 2015 et Patricia est à l’automne d’une vie bien remplie. Mais laquelle ? Si les gens de son âge ont tendance à oublier leur passé, c’est le problème inverse qui se pose à elle. Seule dans sa maison de retraite où les infirmières la trouvent un peu folle, elle se souvient de deux passés distincts. Dans l’un d’eux, elle a accepté la demande en mariage de Mark en 1949. Dans l’autre, elle l’a refusée. Cette décision fatidique l’a entraînée sur des chemins bien différents, avec une seule constante, l’amour sans condition qu’elle porte à ses enfants, quels qu’ils soient.

Après la trilogie du Subtil Changement, Jo Walton s’essaie à nouveau à l’uchronie dans Mes vrais enfants. En effet, les deux Patricia traversent deux versions alternatives du vingtième siècle, dont aucune n’est la nôtre. Dans l’une, les grandes puissances s’avèrent incapables de résister à l’attrait de l’arme nucléaire, les terroristes s’en donnent à cœur joie et le monde semble perpétuellement au bord de l’abysse, tandis que dans l’autre, les événements prennent un tour un peu moins apocalyptique. La conquête spatiale est au rendez-vous dans les deux versions, dans un contexte plutôt militaire ou scientifique selon les cas. Le lecteur qui s’attend à une explication finale à la bifurcation des deux lignes temporelles sera déçu, car il n’aura droit qu’à une vague allusion à l’effet papillon dans les toutes dernières pages.

À l’exception du début et de la fin, le livre alterne entre les deux vies de Patricia. Jo Walton réussit à les rendre suffisamment distinctes pour ne pas égarer le lecteur, notamment grâce à l’astuce des surnoms : la Patricia qui épouse Mark devient Tricia, puis Trish, tandis que celle qui reste célibataire se fait appeler Pat. Les deux femmes adoptent également progressivement des philosophies distinctes en réaction aux événements qui les touchent : si l’une perd la foi, Dieu reste une présence importante dans la vie de l’autre. Jo Walton juge visiblement que les circonstances dans lesquelles on se trouve jouent un rôle crucial dans le façonnement de la personne que l’on est.

Mes vrais enfants retrace près d’un siècle d’histoire en quatre cent pages à peine. Jo Walton sait croquer une situation ou un personnage en quelques lignes, mais tous ne peuvent pas bénéficier de ce traitement et certains ne dépassent donc pas le stade de l’esquisse, voire de la caricature. Le rythme s’accélère sur la fin, avec un nombre toujours croissant de petits-enfants qui ne deviennent jamais vraiment plus que des noms. Est-ce une maladresse, ou un choix conscient censé refléter la vieillesse de Patricia ? Les allusions à l’Histoire avec un grand H sont nombreuses. Si certaines ont un effet direct sur sa vie et celle de ses proches, d’autres semblent n’avoir d’autre but que de rappeler au lecteur que ce n’est pas dans notre monde qu’évolue Patricia.

Le livre n’hésite pas à aborder des sujets douloureux (fausses couches, homophobie, sénilité). Cela peut rendre la lecture pesante, en particulier sur la fin, lorsque Patricia assiste avec horreur à son propre déclin tandis que des gens qu’elle aime meurent autour d’elle. Le dernier chapitre, avec son message d’espoir, n’offre pas de réelle consolation et c’est le cœur gros que l’on referme ce livre.

Cet ouvrage plaira surtout aux lecteurs intéressés par les uchronies, mais aussi plus généralement par l’histoire de l’évolution des mœurs ainsi qu’à tous ceux qui ont aimé les héroïnes du Subtil Changement.