Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Diable s'habille en Prada (Le Diable s'habille en Prada - 1) - Weisberger, Lauren

Andrea Sachs vient de finir ses études. Après s’être autorisée des vacances au bout du monde avec son petit copain Alex, elle se demande comment trouver son premier emploi. Alex, lui, a déjà trouvé un poste à la mesure de sa vocation d’enseignant : instituteur dans un établissement new-yorkais d’un quartier populaire. Le rêve d’Andrea est autrement plus inaccessible : devenir chroniqueuse pour le New Yorker, célèbre journal. 

Elle candidate plus par dépit que par conviction à une annonce du groupe de presse Elias-Clark. Quelle n’est pas sa surprise lorsqu’elle apprend qu’elle est retenue pour un poste d’assistante ! Sa mission ? Faire les quatre volontés de la tyrannique Miranda Priestly, rédactrice en chef du magazine de mode Runaway. À l’issue d’un an, si elle a tenu le coup, son auguste employeuse pourra alors lui dégotter un poste de chroniqueuse dans n’importe quel journal ou magazine. Pour Andrea, l’occasion est trop belle. Malgré son dédain pour l’univers de la mode, elle va tout faire pour rentrer dans le moule, quitte à tout sacrifier pendant un an.

Le Diable s’habille en Prada n’a pas le côté bon enfant de son adaptation cinématographique. Il s’agit du récit d’une véritable descente aux enfers pour Andrea, vampirisée par l’univers oppressant de Runaway, déshumanisée et réduite en esclavage par Miranda. Si la Miranda du film présente des aspects humains, celle du livre est carrément détestable. Et pourtant, elle sonne tellement vrai qu’on s’attendrait presque à la voir débarquer chez soi, avec son élocution détestable, son impolitesse et ses exigences impossibles.

Je ne m’y attendais pas car je rêve peu des livres que je lis mais celui-là m’a véritablement donné des cauchemars. Le lecteur est plongé dans la peau d’Andrea par la narration à la première personne. On est aussi accablé qu’elle quand son téléphone sonne et qu’une voix maniérée s’exclame « An-dre-âââ » pour ensuite formuler des demandes impossibles. On se demande aussi jusqu’où Andrea va tenir ou plutôt, jusqu’où elle va sombrer. Petit à petit, on est le témoin impuissant de la distance qu’elle instaure avec son petit ami Alex, avec sa coloc Lily ou sa famille. La narration est donc particulièrement efficace et le rythme aussi intense que celui des journées de son héroïne.

Les personnages secondaires vont et viennent au gré des corvées d’Andrea. On parvient sans mal à capter l’inquiétude des proches de la protagoniste et leurs propres soucis… alors qu’elle-même reste trop préoccupée par Miranda. Le personnage d’Emily, l’assistante senior de Miranda, est ambiguë à souhait : cette créature de mode, complexée, cynique, rendue complètement névrosée par son employeuse, est également profondément vulnérable. Il s’agit sans contexte du personnage secondaire qu’on croisera le plus, Miranda se manifestant surtout par ses coups de fil rapides et leurs conséquences monumentales sur la vie des deux assistantes. Petite touche que j’ai beaucoup appréciée : Miranda est presque la seule à appeler ses assistantes Andrea et Emily, le reste des personnages les appelant Andy et Em’, comme si elles n’étaient finalement pas les mêmes personnes pour Miranda et pour les autres.

À sa sortie, le livre a été classé en chick-lit et décrit comme une lecture principalement humoristique et frivole par la critique mais ce n’est pas exactement mon avis. Cet ouvrage est une parfaite illustration, un brin caricaturale, des fameux « risques psychosociaux » liés au travail. Il contient certes quelques moments comiques, comme les scènes où Andrea imagine les manières de se venger de son employeuse… ou quand elle le fait, ni vue ni connue, mais ils demeurent minoritaires.

Si je suis contente d’avoir quitté l’univers de Runaway, je ne suis pas déçue du voyage. On assiste à une véritable métamorphose du personnage principal, tour à tour naïve, esclave puis maîtresse de son propre destin. Les fans de mode devraient retrouver de nombreuses références connues dans ce livre mais ceux qui, comme Andrea et moi, n’y accordent pas d’importance trouveront également matière à réflexion.