Au Swan, on raconte des histoires. Dans lesquelles, souvent, la Tamise, qui coule juste à côté, joue un grand rôle. Et c'est d'elle que sort, en une longue nuit de solstice d'hiver, un homme blessé portant dans ses bras une petite fille, que l'on prend d'abord pour une poupée, avant de la croire morte, à tort visiblement.
Cette enfant, de quatre ans environ, ne parlant pas, on ne sait pas précisément s'il s'agit d'Alice, la petite-fille disparue de Robert Armstrong, ou d'Ann, la soeur noyée de Lily White, ou bien d'Amelia, l'enfant des Vaughan kidnappée deux ans plus tôt, et que l'on n'a jamais retrouvée. Pour Helena Vaughan, désespérée depuis la disparition de sa fille, aucun doute possible : c'est elle, enfin revenue. Mais ce n'est pas si simple. En tout cas, pas pour son mari, ni pour Henry Daunt, le photographe qui l'a repêchée, ni pour Rita Sunday, l'infirmière qui a assisté à son réveil.
Ce roman est aussi fluide qu'un fleuve, avec ses non-dits comme courants sous-jacents, et ses histoires annexes comme affluents. Autour du personnage central qu'est la Tamise, que l'on ressent vivre pendant une année, d'un solstice d'hiver au suivant, une petite foule gravite. Et comme le roman se déroule à la fin du XIXe siècle, dans un monde qui nous est devenu totalement étranger, le Silencieux ne nous est pas plus éloigné que ces personnages dickensiens que sont Robert Armstrong et Ben, le fils du boucher. On est à un moment de l'histoire où la science prend peu à peu le devant de la scène, ce qui est fort bien mis en relief par le personnage de Rita Sunday, sans que pour autant la possibilité de l'existence du fantastique ait disparu totalement. Les quelques éléments, discrets, qui y appartiennent ajoutent à l'atmosphère de mystère de ces terres riches d'un passé séculaire.
L'auteure a créé un univers où tout est vivant et conscient à sa façon, et où tout communique, les animaux et les hommes, entre autres par la voix et la voie du fleuve, qui les relie tous. Les quelques références à Darwin, dont la théorie de l'évolution, plus ou moins déformée, circule au moment où se déroule l'histoire, ne font que donner un arrière-plan supplémentaire à ces liens entre êtres vivants.
Même si l'action est peu présente, le mystère de l'identité de l'enfant est une intrigue qui n'est jamais perdue de vue par l'auteure. De ce fait, malgré la lenteur de la progression de l'intrigue, on ne s'ennuie pas une minute, porté que l'on est par une narration à la fois ferme et tout en douceur. C'est l'un des charmes de ce roman que cette "chasse aux indices" à laquelle peut se livrer le lecteur, tout en se laissant bercer par les histoires et légendes du fleuve racontées au Swan, et qui chacune, à leur façon oblique, éclaire l'énigme. Un autres des charmes que j'évoquais précédemment, c'est cette impressionnante galerie de personnages, tous individualisés et merveilleusement décrits, depuis Joe aux sourcils expressifs jusqu'à la remarquable Mrs Constantine, sans parler de Maud...
En somme, Diane Setterfield réussit avec ce roman à nous rappeler l'ambiance et le style d'écriture de sa première oeuvre publiée en France tout en élaborant un univers complètement différent. Elle confirme ainsi ses éminentes qualités d'écrivaine. Si vous avez aimé Le treizième conte, n'hésitez pas, vous aimerez certainement celui-ci. Si vous n'avez pas lu Le treizième conte, mais que vous aimez les belles histoires originales bien racontées, tentez l'aventure, vous n'en reviendrez pas...