Les six nouvelles qui constituent ce recueil sont très homogènes. En effet, elles tournent principalement autour de trois thèmes : le rapport créateur/créature (dans la première, la troisième et la dernière), ce qui inclut le lien parental ; la mort (dans la deuxième et la quatrième surtout, mais on peut aussi citer la troisième) ; et, surtout, la prédestination : un avenir prévu peut-il être modifié, et si oui de quelle façon (dans la première et la deuxième, d'une certaine façon, et les trois dernières) ? On pourrait presque considérer qu'en fait il n'y en a que deux, tant celui de la mort et celui du temps / de la prédestination sont corrélés.
Notre modèle économique ? Le paradoxe de Fermi : ce n'est carrément pas normal que cette civilisation évoluée au bout de l'univers n'ait pas totalement disparu ! Comment réaliser des profits si vos créatures ne finissent pas le travail en vue duquel on les a créées ? Une histoire qui ne se prend pas au sérieux sur l'origine de la vie, et sur la faillibilité des "dieux".
Comme neuf : si après la destruction totale de toute vie sur Terre vous trouvez une bouteille avec un génie dedans, faites très attention à ne pas gâcher vos trois vœux, sachant que tout peut mal tourner. Le mélange fantastique/SF fonctionne bien dans cette autre nouvelle au ton léger.
Intestat : dans cette famille heureuse, chaque enfant imagine quelle partie de leur père il récupérera après sa mort. Le mélange de la forme pleine d'humour et du fond plutôt sinistre rend cette histoire dérangeante.
Cartographie des morts soudaines : voyager dans le temps en profitant de l'énergie dégagée par les morts importantes présente encore plus de danger de modification accidentelle que les autres méthodes. A mon avis la moins originale du recueil, sur les dangers du voyage dans le temps pour la stabilité du futur, même si la méthode choisie pour ledit voyage ici est intéressante.
Six mois, trois jours : quel espace de liberté reste-t'il quand on sait exactement ce qui va se passer, et notamment que l'on n'a que six mois et trois jours à passer avec la personne dont on est amoureux ? L'une des meilleures du recueil, auquel elle donne son titre, au moins en français, cette nouvelle développe une réflexion intéressante sur la prédestination, bien sûr, mais aussi sur la capacité, ou pas, à envisager des solutions alternatives, quitte à devoir quitter le confort psychique et mental de la certitude, et à changer. Quelque part, une illustration du "Mieux vaut un démon qu'on connaît qu'un ange qu'on ne connaît pas".
Trèfle : quand Berkley arrive dans le foyer de Joe et Anwar comme une promesse de bonheur, il est choyé non seulement en tant que tel, mais aussi pour lui-même. Au bout de neuf ans, enfin rassuré et heureux, il est furieux de voir débarquer un autre chat. Peut-être ma préférée du recueil - mais j'ai tendance à perdre mon sens critique dès qu'un chat entre en scène -, cette nouvelle, plutôt fantastique que SF, illustre une réflexion sur la différence entre le bonheur et la chance, et leur possible incarnation dans un élément de la vie, mais aussi sur l'aspect possiblement négatif de toute prédiction (thème qui était déjà celui de la nouvelle précédente). Comme Intestat, c'est aussi une réflexion sur la façon dont nos actes nous poursuivent, comme on le voit dans le rapport Patricia / Berkley. C'est enfin la seule nouvelle où apparaissent les différents thèmes majeurs que j'ai mentionnés en introduction de cette chronique.
L'homogénéité du fond se retrouve au niveau de la forme : le style est fluide, les personnages bien décrits et individualisés, le ton souvent plein d'humour. En somme, ce recueil est une lecture fort agréable et introduit en douceur le lecteur à l'univers très particulier de l'autrice.