Les Chroniques de l'Imaginaire

Trois hourras pour Lady Evangeline - Dunyach, Jean-Claude

Le Temps incertain ne s'est même pas rendu compte qu'il avait blessé un élément extraterrestre au moment de son émergence à proximité d'Esmeralda. Malheureusement, c'était le cas, et la mesure de rétorsion employée n'a laissé aucune parcelle du puissant vaisseau militaire, avant de s'attaquer aux occupants de la planète. De ce moment-là, l'humanité a considéré être en guerre contre un ennemi dont personne ne sait rien, sinon que ses moyens de destruction sont terrifiants. 

Les parents d'Evangeline ne savent plus quoi faire de cette adolescente dont la rébellion se manifeste notamment par une sexualité débridée. Selon une vieille tradition des familles en vue, ils l'expédient donc "en pension", comprenez : sur une planète école. Evangeline en hait d'emblée la rigidité quasi militaire, et c'est ainsi que le rassemblement prévu la trouve très loin de ses nouveaux condisciples, enfermée dans son conteneur personnel. Cet acte d'indiscipline lui sauvera la vie.

Ce court space opera fourmille d'originalité. Pour commencer, on ne saura vraiment que très peu de chose sur "l'ennemi". Sa première particularité est d'ailleurs de ne pas être véritablement un ennemi, à la base. Ce qui l'oppose aux humains, c'est d'abord l'incompréhension due à l'absence de tout langage, et même de tout cadre de références, commun. C'est là, à mon sens, le thème central du roman : l'incompréhension mutuelle, la solitude qui en découle, et à partir de là la recherche de la possibilité de communiquer. D'ailleurs, même quand il existe a priori un langage commun, la compréhension mutuelle n'est pas assurée, témoin les tentatives maladroites entre Evangeline et son père, alors même que ce dernier, en tant que diplomate, est un homme de mots.

C'est donc une exploration des différents moyens non-verbaux de le faire, par le sexe, par l'odeur, par le son. De ce fait, c'est un roman très "physique", où l'odorat notamment a une importance capitale, mais pas seulement. Pour moi, c'est un roman qui "a du corps", comme on le dit d'un vin, mais aussi parce que la présence du corps des protagonistes, matérialisée par les odeurs et sécrétions corporelles, et par les formes abondantes et constamment soulignées du personnage principal, est constante.

Un autre thème important est celui de la nature du lien, explorée surtout par le biais de l'évolution du personnage principal. Evangeline est aussi contradictoire que toute adolescente de seize ans, mais elle semble surtout osciller entre un désir d'inclusion qui évoque un fantasme de retour à la matrice, et un refus de se conformer à ceux qui l'entourent, et bien sûr aux attentes de ses proches. Il s'agit de trouver la distance juste à partir de laquelle la communication est possible. Partant de là, la fin est logique.

Le style est fluide, riche, notamment en niveaux de langage, mais cette richesse ne nuit jamais à la clarté du récit, au contraire elle le sert au plus près. Tous les personnages sont individualisés, même les Survivants, qui apparaissent plutôt en tant que groupe. Les lecteurs familiers de l'auteur auront reconnu ses thèmes de prédilection, mais que cela ne les empêche pas de découvrir Lady Evangeline et ses différentes mues, elles ne les décevront certes pas.