Les Chroniques de l'Imaginaire

Que passe l'hiver - Bry, David

Tous les ans, les quatre clans de la Clairière se retrouvent au sommet du Wegg pour le solstice d'hiver. Ils y renouvellent leur allégeance au roi de l'hiver, demi-dieu qui est le dernier fils d'Urian et le dernier lien des hommes avec le Monde Souterrain. Pour le jeune seigneur Stig Feyren, ce sera sa première fois. Il rêve depuis des années de participer à ces festivités aux côtés de son frère aîné et compte bien profiter des moindres moments du séjour.

Hélas, les réjouissances vont bien vite tourner court. Le seigneur Dewe décède en plein banquet. Stig, qui l'a vu tomber, est persuadé qu'il a été empoisonné, même si personne ne le croit. Peu après, d'autres morts s'enchaînent, touchant tous les clans. L'insignifiant Stig, infirme et méprisé par son père, qui n'est en aucune façon l'héritier du clan, semble lui-même pris pour cible. Le jeune homme ne comprend pas. Que se trame-t-il au cœur de la Clairière cet hiver ?

Ce roman est arrivé par surprise dans ma boite aux lettres, dédicacé par l'auteur et accompagné d'une note de la directrice de collection de Pocket espérant que je partagerais son coup de cœur pour cet ouvrage... qui est également le coup de cœur de cette année des Imaginales. Autant dire que la barre était placée assez haut ! Fort heureusement, ce livre s'est effectivement avéré excellent et je l'ai dévoré.

A des dehors de fantasy assez classiques (un jeune homme doit trouver sa voie) se mêlent un brin de poésie (Stig a l'âme d'un poète) et des relents de tragédie antique (la fameuse règle des trois unités d'action/temps/lieu est respectée, ainsi que l'aspect inéluctable du drame final).
La plume est riche et agréable et séduira les amateurs de belle langue. Elle donne vie à la froideur de l'hiver sur cette montagne gelée, à la joie des premières festivités où alternent contes et danses, à l'ambiance de plus en plus oppressante à mesure que les décès adviennent... Seuls les extraits de poème qui introduisent chaque chapitre m'ont laissée froide, mais je ne suis pas à la base amatrice de poésie.

Bien qu'on n'ait qu'un aperçu du monde où se déroule le récit, puisqu'on ne quitte pas le "rocher des dieux", David Bry brosse un ensemble riche et cohérent. A l'aube des temps, le dieu Urian a enfanté les premiers Ordrains, dont sont issus les quatre clans des hommes : les Dewe qui se fondent dans les ombres, les Lugen qui peuvent invoquer des esprits par-delà le Voile, les Oren qui peuvent voir les faisceaux de fils du destin et enfin les Feyren, qui peuvent se transformer en animaux. Les clans vivent isolés les uns des autres et ne se côtoient qu'à l'occasion du solstice d'hiver, quand tous reviennent auprès du cinquième Ordrain, le roi de l'hiver, maître de la magie et des mystères.
Avec le temps, certains en sont venus à remettre en cause l'intervention divine dans leur existence. Là où Urian tisse des fils d'avenirs possibles, ils voient un destin inaltérable auquel ils ne peuvent échapper. Ils maudissent leur créateur pour sa cruauté, sans comprendre que les événements bons ou mauvais ne reflètent que les bonnes ou mauvaises intentions des humains qui font des choix décisifs.
La réflexion sur le libre-arbitre est particulièrement sensible au fil des pages et des réflexions des différents personnages. Pourquoi Urian permet-il qu'adviennent les futurs les plus terribles ? "Pour que chacun ait le bien le plus précieux qui soit. Son libre arbitre. [...] Quelle est la valeur d'un homme qui agit pour le bien de tous, s'il n'a pas d'autre voie à emprunter ? [...] Quel est le crime d'un autre qui vole et qui trompe, si on ne lui laisse pas d'alternative ?" (p. 421)

Stig, le personnage que l'on suit durant tout le récit, est un jeune homme sensible, qui perçoit la beauté et les mystères du monde qui l'entoure. Avec son pied bot, il n'est pas un guerrier, bien qu'il ait dû s'endurcir face au rejet et aux moqueries des siens. A la place, il s'est tourné vers la nature sauvage qu'il comprend mieux que personne, les contes et légendes auxquels il prête foi ; c'est une belle âme qui irradie l'amour et la magie du monde. Il aime plus que tout arpenter les cieux en toute liberté sous sa forme de corbeau, qui l'affranchit de son handicap physique.
Tout à sa fraîcheur et son innocence, il va être confronté brutalement à des événements alarmants, à la fin annoncée d'un monde. Avec ses amis, il va désespérément essayer de comprendre, mais sans réelle piste à suivre et tout en sachant qu'il n'en aura peut-être pas le temps. C'est un personnage vraiment intéressant et attachant, qui tranche sur son entourage, et dont on suit les pas avec grand plaisir.

Vous aimez la bonne fantasy française, bien écrite, mêlant mystère et magie avec un fond intéressant ? Ne cherchez plus, vous avez trouvé !