Les Chroniques de l'Imaginaire

Christine Renard (Galaxies SF - 59)

Le numéro 59 de Galaxies rend hommage à Christine Renard, autrice française de romans et de nouvelles de science-fiction et de fantastique, pour le quarantième anniversaire de sa mort. Pour cela, c'est un numéro très féminin auquel nous avons affaire ici !

On trouve d'abord plusieurs nouvelles d'auteurs contemporains.

Le principe de Dieu, de Nicoletta Vallorani
Lassées des violences masculines, une poignée de femmes a créé une colonie spatiale sans homme. Un laboratoire de reproduction doit permettre de s'affranchir de la contribution masculine. Puis les premiers enfants commencent à disparaître...
Une société de femmes est mise en danger quand la deuxième génération remet en question les choix de la première. Ce texte est plaisant, mais plutôt convenu, avec une chute qui se veut percutante mais qui ne surprend pas réellement.

À l’ombre de l’arbre rouge, de Christine Brignon
Eyla vit dans un futur pas si lointain où l'Etat Islamique ne rencontre plus guère que de rares poches de résistance. Elle rêve parfois d'un visage entrevu en songe... Maïko vit dans une cité souterraine ; dehors, il fait froid, la survie n'est plus possible. Lui aussi cherche un visage irréel.
La description de deux futurs peu encourageants est plausible, mais je n'ai pas adhéré au pont miraculeux entre les deux et je n'ai pas vraiment aimé cette nouvelle.

Le Bijou, de Daína Chaviano
Un orfèvre rencontre une femme au cou parfait, pour laquelle il va fabriquer un bijou unique.
Là encore, la chute fantastique est courue d'avance, mais le texte est agréable à lire.

Cœur d’Alène, d'Eliza Rose
Une veuve fait greffer l'Intelligence Artificielle de la voiture de son mari dans le corps défunt de celui-ci. Mais la Mazda est nostalgique de son existence précédente.
C'est la première nouvelle de la revue que j'ai réellement appréciée. La personnalité de la Mazda, qui continue à penser comme l'automobile qu'il a été, est intelligemment retranscrite et c'est plutôt sympathique et amusant.

Cités d’émeraude, déserts dorés, de Sofia Samatar
Une habitante d'une cité explique pourquoi elle n'aime pas les terres désertiques.
Je ne suis pas sûre d'avoir réellement compris cette nouvelle. C'est bizarre tout du long et ça finit encore plus bizarrement.

Dolls e-Vita, de Franck Dole
(uniquement dans l'édition numérique)
Un robot utilisé comme jouet sexuel réalise sa situation et reprend sa liberté.
Une jolie nouvelle sur l'exploitation des intelligences artificielles, la conscience et la liberté.

Objectif ubiquité, de Lalex Andrea
(uniquement dans l'édition numérique)
Une inventrice géniale, fatiguée des longs voyages spatiaux, fabrique un dispositif de téléportation. De quoi changer le monde, non ?
Voilà un texte très réussi. Une fois encore, ce n'est pas forcément très original (serais-je blasée ? il est vrai que je ne suis pas forcément très amatrice de nouvelles...), mais c'est léger et attrayant.

Journal d’une ménagère inversée, de Juliette Raabe (1963)
(nouvelle datant de 1963, publiée dans le cadre du "service des affaire classées")
Une femme oublie sa clef au marché et remonte le temps pour la retrouver.
Absurde mais délicieux. La narratrice revit ses dernières heures à l'envers, comme si les événements s'étaient déroulés en ordre inverse (par exemple, elle éteint sa cigarette d'un coup de briquet, et ainsi de suite). C'est loufoque mais bien pensé.

Vient ensuite le dossier sur Christine Renard proprement dit : biographies, bibliographie, articles de presse... Il y a également des nouvelles de l'autrice, mais aussi un texte de Joëlle Wintrebert qui revisite l'univers d'une de ses nouvelles.

Couvées de filles, de Joëlle Wintrebert
Un aventurier échoue sur la planète Ere où les femmes vivent en symbiose avec des fleurs géantes qui leur servent d'habitation. Cette utopie ne lui plait pas vraiment.
Je n'ai pas lu la nouvelle de Christine Renard intitulée Au creux des Arches (parue dans l'anthologie Utopies 75) qui a inspiré ce récit, mais cela ne pose pas de problème pour la compréhension. C'est un texte fort et bien écrit, qui nous fait entrevoir un monde original et dérangeant par le biais de deux sœurs très différentes et d'un étranger.

Châteaux de cubes, de Christine Renard (1977)
Dans cette société socialiste, les besoins primaires de tous sont assurés gratuitement : des logements spartiates et impersonnels mais propres, des vêtements, de la nourriture à volonté, des moyens de transport pratiques. Les "primeurs" peuvent en profiter sans contrepartie. Pourquoi travailler alors ? Les "nantis" s'échinent au travail pour obtenir "de belles choses et une maison à eux pour les mettre dedans".
A l'heure où l'on rêve de revenu universel, cette nouvelle apporte une vision bienvenue, opposant d'un côté les primeurs, qui ne possèdent rien en propre mais sont libres de faire ce qu'ils veulent, et les nantis, qu'une nécessité intérieure pousse à s'épuiser pour posséder des biens en propre qui les font se sentir supérieurs.

Entre parenthèses, de Christine Renard (1977)
Alors que sa longue carrière dans la Compagnie Transpatiale est sur le point de s'achever, Espèrange découvre que cette compagnie ne vaut pas mieux que les autres et décide de faire appel à un amour de jeunesse pour publier un dossier accablant.
Le retournement de situation qui intervient, probablement plus inattendu pour les lecteurs du siècle dernier que pour ceux de celui-ci, permet à l'autrice de traiter intelligemment la thématique de la perception de la réalité. C'est un très beau texte.

Transitoires, de Christine Renard (1971)
La Transparallèle permet aux gens (fortunés, évidemment...) de visiter les univers parallèles pour faire la connaissance de leurs alter ego vivant une vie différente. C'est ainsi que Cécile-la-bohême rencontre Cécile-la-sage, Cécile-la-voleuse...
Encore un très beau récit, tout à la fois bien écrit et faisant réfléchir : Serions-nous fondamentalement différents si la vie avait placé des obstacles différents sur notre chemin ?

La revue nous propose alors différents articles, consacrés respectivement au comic's Elektra, au film fantastique Le Diable dans la ville (1925), à l'actualité cinématographique SF et fantastique des derniers mois (Mais que l'auteur a la dent dure ! Bien peu de métrages trouvent grâce à ses yeux...) et enfin à l'adaptation théâtrale de Solaris.

Si les nouvelles présentées en début de revue ne m'ont pas réellement séduite, j'ai vraiment apprécié de découvrir la production de Christine Renard, dont les textes ont su me toucher. La jeune génération n'a pas forcément entendu parler d'elle, alors qu'elle était une des rares femmes à écrire de la science-fiction et du fantastique à son époque en France. Pour les curieux, vous savez désormais quoi lire !