Les Chroniques de l'Imaginaire

Chanson de la ville silencieuse - Adam, Olivier

Celle qui se définit au départ comme "la fille du chanteur" ne sait finalement pas beaucoup plus de choses que le citoyen lambda de cet Antoine Schaeffer si célèbre et si peu connu, qu'elle-même a côtoyé sans en être intime. En effet, après huit ans passés avec une mère qui ne s'occupe pas vraiment d'elle, la petite fille qu'elle était se retrouve sous la garde de son père, sa mère s'abîmant de plus en plus dans une vie de bringues et de défonce. Sans que personne dise quoi que ce soit à l'enfant, il l'emporte, loin de Paris et de tout ce qui lui était familier, en Ardèche, où il vit la plus grande partie du temps.

Heureusement, Paul et Irène, qui s'occupent de la maison quand il est en tournée ou ailleurs, assureront le rôle de grands-parents, maintenant une chambre prête pour la fillette, puis pour l'adolescente, et veillant, pendant ses séjours chez eux, à ce qu'elle mange normalement et qu'elle fasse ses devoirs. C'est Paul, aussi, qui l'informera de la disparition de son père. Mais un an plus tard, et alors qu'il est supposé mort, un ami et collègue de travail de la jeune femme lui montre une photo floue, prise à Lisbonne, d'un chanteur de rue qui ressemble à la rock star disparue.

La langue mélodieuse de l'auteur accompagne à merveille l'errance de cette narratrice, dont le lecteur n'apprendra pas le prénom, à la fois dans le temps et dans l'espace. Ces derniers sont cahotés, alternant sans cesse entre l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte, Paris, le Portugal et l'Ardèche, et cela correspond bien à des vies chaotiques. Elle arrive aussi à exprimer les paradoxes dont sont tissées ces vies à la fois présentes et absentes, connues et inconnues, indifférentes et protectrices.

Car en somme ce père donné comme absent même quand il était là a joué son rôle de protecteur quand l'un des hommes présents dans la maison a tenté de mettre à mal la toute jeune fille de quatorze ans, ou d'ailleurs, plus tôt, en l'enlevant à une mère sur le point de devenir dangereuse pour la petite ; en tout cas, il a mieux su la protéger que ne semblent l'avoir fait les parents "normaux" de Clara, lesquels ne se sont pas aperçus que leur fille dérivait vers une bande de marginaux plus ou moins dangereux.

Lisant peu de littérature "hors genre", je découvre cet auteur avec ce roman, et de ce fait je ne puis commenter la place qu'il occupe dans l'oeuvre, ni si les thèmes qu'Olivier Adam y explore lui sont ou non familiers. En tout cas, je trouve qu'il y met particulièrement bien en scène la façon dont un inconnu, une absence, peuvent être prégnants. Un enfant s'identifie toujours à ses parents, ou du moins à ce qu'il perçoit d'eux, d'une manière ou d'une autre, et ainsi la narratrice a intégré dans sa propre vie l'absence, l'aspect fantomatique de ses deux parents. De par cet apprentissage particulier, elle porte un regard aigu, informé, sur les créateurs, et sait ne pas confondre l'oeuvre et son auteur. Elle a aussi intégré cette capacité de protection portée par une fonction paternelle qui, à cet égard du moins, n'était pas défaillante.

Ce roman interroge ce jeu de miroir trompeur entre une production, quelle qu'elle soit, et l'artiste qui lui a donné forme. Ce dernier semble parfois s'y perdre à force de chercher à s'y trouver. Le spectateur n'est pas le seul à chercher la "vérité" d'un créateur en scrutant sa création, c'est aussi le cas de ce personnage emblématique qu'est Antoine Schaeffer, engagé dans cette démarche paradoxale visant à trouver l'essentiel de soi en se dépouillant de tout le "superflu", sans qu'on sache où est la limite entre les deux.

Pour moi, un très grand plaisir de lecture que cette découverte, que je prévois de relire pour m'en imprégner encore davantage, avant de lire d'autres romans de cet auteur. Je peux imaginer, toutefois, que ce livre exigeant ne plaira pas à tout le monde. Mais si les thèmes qu'il aborde vous touchent, n'hésitez pas !