Un seul numéro de Galaxies consacré à Christine Renard, ce n'était pas assez pour "celle qui fut l’une de nos plus grandes auteures". Ce numéro Hors-Série vient donc compléter le numéro 59 en proposant plusieurs nouvelles, dont une majorité inédites, pour approfondir notre rencontre avec cette écrivaine.
La Terre promise, de Christine Renard (1968)
Quatre siècles après la Grande Destruction, cent mille hommes sont enfermés dans une cité qui les protège de la radioactivité. Pour survivre, ils doivent se piquer deux fois par jour, mais cela a des effets secondaires : ils ne dorment plus et sont stériles. Leur vie éveillée ne s'arrête jamais, consacrée au travail. Ils ont oublié les rêves, la nature, les arts... Faire naître un enfant (dans un bocal), ou même simplement faire pousser une fleur : des entreprises compliquées, qui nécessitent une attention constante et avec une grande probabilité d'échec. Pourtant, un couple rêve de retrouver une vie plus proche de la nature, comme les anciens.
J'ai bien aimé ce texte post-apocalyptique, car non seulement il est joli et original dans ses détails, mais en plus il est porteur d'espoir, ce qui est plus inhabituel sur ce thème. C'est donc un plaisir de le voir ouvrir ce numéro spécial !
Le ventre des autres, de Christine Renard
(inédit datant de 1976)
Des années de lutte pour la libération de la femme ont abouti à l'utilisation quasi systématique de mères porteuses, afin que la femme puisse faire carrière sans contrainte. Mère porteuse est un métier comme un autre, qui paye bien, au point qu'après quelques grossesses les femmes en question peuvent à leur tour embaucher une mère porteuse pour porter leur propre enfant. Mais voilà que Muriel veut porter son propre enfant ! C'est le monde à l'envers...
Mère porteuse est un terme un peu restrictif, puisqu'il s'agit également ici d'élever l'enfant dans ses jeunes années. Du coup, les relations entre enfants et parents biologiques deviennent compliquées et l'autrice s'amuse à explorer les conséquences possibles. Pas tout à fait crédible, mais intéressant.
Emmanuel, de Jean-Pierre Fontana
(parution originale 1977, version revue et corrigée 2019)
Dans un monde entièrement tourné vers la beauté, les femmes se sont battues pour se libérer des contraintes de la grossesse et réaliser désormais les gestations hors du sein maternel. Mais Noune veut un enfant à elle, un enfant EN ELLE.
Cette nouvelle fait écho à la précédente, d'où sa place dans la revue. L'auteur imagine un monde où la société a évolué au point que vouloir avoir un enfant de manière naturelle s'apparente à une psychose. Le mélange volontaire entre réalité et hallucination m'a rendu la lecture un peu difficile.
Paroles en l’air, de Christine Renard
(inédit)
Luce a une santé fragile et prend beaucoup de médicaments, ce qui exaspère son petit ami Cédric. Pour lui, comme pour leur amie Yvana, il faudrait laisser le corps guérir tout seul, et éliminer de la société tous les malades !
Le récit se base ici sur un extrémisme singulier, celui de la santé, l'idéal du corps sain. Et comme tous les extrémismes, cela fait froid dans le dos...
Les forts et les purs, de Christine Renard
(inédit)
Laure a toujours eu pitié des malades, condamnés par la société dans laquelle elle vit. Dans son hôtel, elle accueille illégalement des gens en mauvaise santé, sans les dénoncer aux autorités. Mais c'est son tour d'être malade...
Cette nouvelle fait pendant à la précédente, Force & Santé ne sont plus des paroles en l'air mais la seule manière acceptable de vivre. Prévisible, mais pas moins glacial pour autant...
Médecins de l’ombre, de Christine Renard (1979)
Bastien est médecin, dans une société où la maladie est interdite. La nuit, il doit déjouer les patrouilles pour soigner des malades dont il ne sait pas s'ils ne vont pas le dénoncer après coup. Ses collègues meurent autour de lui, un par un...
Encore une nouvelle dans le même univers que les deux précédentes, avec cette fois le point de vue du médecin, décrié par tous... Là encore, un futur qui ne donne pas envie !
Qui joue ? Qui meurt ? (1976)
- La mémoire et les flammes, de Katia Alexandre
- Les portes fermées, de Christine Renard
- Le pays d’horizon, de Michel Jeury
Brice est en dépression, il a toujours été un peu spécial. Il a eu une aventure avec la blonde Martine, morte dans un accident de voiture alors qu'elle venait le rejoindre cinq ans plus tôt. Depuis, il a refait sa vie avec la brune Claire, son amie d'enfance et psychologue. Ou peut-être pas. Peut-être que Martine est toujours vivante et qu'ils vivent ensemble. Ou peut-être que...
Voici un triptyque d'écriture collaborative qui présente la même histoire à travers trois facettes différentes. Chacun des trois auteurs s'est attaché à retranscrire le point de vue de l'un des trois personnages, donc on a trois textes complémentaires. L'idée est intéressante, mais je n'ai pas trop accroché à la réalisation qui manque d'éclat.
Miroir miroir, de Christine Renard
(version en partie inédite)
Quand Colette a rencontré Adrien, celui-ci était déjà avec Emmanuelle qui pensait bien rester la seule sur le long terme. Pourtant, Adrien a épousé Colette et Emmanuelle s'est suicidée. Affaire classée. Mais dans le miroir qui reflète la maison où le drame a eu lieu, Emmanuelle voit le disparue qui se rapproche...
Cette nouvelle est la première à avoir une ambiance aussi résolument fantastique, avec également une tension qui monte crescendo au fil des pages. Voilà qui plaira aux amateurs de thrillers surnaturels.
La première rose rouge, de Christine Renard
(inédit)
Annie-Laure est une adolescente mal dans sa peau. L'orpheline rêve de ne rien faire, tandis que sa (lointaine) belle-famille la pousse dans tous les sens. Et ses règles, qui ne se sont pas encore déclenchées à quatorze ans ! Et un jour, elle tombe fascinée par un tableau, qui représente - elle en est sûre - sa mère...
Un très joli texte sur l'adolescence, avec une touche de fantastique qui vient habilement.
Une visiteuse pas comme les autres, de Christine Renard
(v1 & v2, inédits)
Etre étourdie à ce point, ce n'est pas possible ! Une visiteuse médicale en charge d'un produit de guérison universel se trompe de planète et visite des docteurs sur Terre...
Ce texte nous est présenté sous deux formes différentes, une plus courte (mais finalement plus percutante) et une plus développée. Exception bienvenue parmi les autres œuvres de l'autrice, c'est drôle et léger.
Petits contes affolés et autres courts récits, de Christine Renard
(inédits)
Pas de présentation des divers textes ici : Ils sont si courts que tout serait déjà dévoilé. C'est très divers, avec des idées à creuser, mais cela donne plus l'impression d'ébauches à étoffer que de nouvelles finalisées.
La nuit des Albiens, de Christine Renard
(1981, Prix Rosny aîné 1982)
On raconte beaucoup de choses sur les Albiens : ces personnes atteintes d'une forme particulière d’albinisme ne dormiraient jamais et mangeraient plus que les autres, propageraient leur particularité au travers des rapports sexuels, et surtout n'hésiteraient pas à assouvir leurs pulsions - non éliminées par les rêves - sur les humains normaux, tuant et massacrant...
Encore un texte réussi où la tension monte progressivement jusqu'à ce que le personnage principal ne puisse plus s'en sortir...
L’oeuvre de chair, de Christine Renard
(inédit)
Il y a six mois, Anne n'existait pas ; elle a maintenant vingt trois ans. Son père l'a conçue lors d'un séjour dans le passé.
Que se passe-t'il quand on intervient dans le passé ? Les voyages dans le temps et leurs paradoxes ouvrent toujours des possibilités prometteuses, et si ce texte n'est pas le plus réussi que j'aie pu lire sur le sujet, il n'en reste pas moins correctement ficelé.
Bibliographie intégrale, de Jean-Pierre Fontana
Je n'ai pas grand chose à ajouter sur cette bibliographie (d'autant que j'avoue, ce n'est pas ma tasse de thé, j'y ai juste jeté un œil rapide), si ce n'est qu'elle est particulièrement exhaustive puisqu'elle recense également les textes inédits.
Ne me réveillez pas, de Christine Renard et Jean-Pierre Andrevon (1979)
La chronocybine est une drogue qui envoie l'utilisateur dans un monde rêvé paradisiaque, paisible et agréable. Ceux qui en reviennent sont plus doux, ce qui peut sembler idéal pour apaiser les tensions d'une société au bord de la crise. Mais passé un certain nombre de voyages, on n'en revient pas.
Avec près d'une quarantaine de pages, cette nouvelle est de loin la plus développée parmi celles présentées ici (qui font plutôt une dizaine de pages en moyenne). Co-écrite avec Jean-Pierre Andrevon, qui a ajouté une touche politique et violente sur la base plus romantique imaginée par Christine Renard, c'est une nouvelle que j'ai trouvée vraiment superbe et de loin ma préférée de ce Hors-Série. Voilà de quoi clore la revue en beauté !
Même si je ne suis généralement pas trop amatrice de nouvelles, j'ai globalement pris beaucoup de plaisir à lire cette autrice méconnue. Elle écrit (ou plutôt écrivait, hélas) très bien et on s'immerge immédiatement dans ses textes, ce qui les rend très plaisants. Pour ceux qui ne la connaissent pas, c'est à découvrir, assurément !