Les Chroniques de l'Imaginaire

La baleine blanche (Grands anciens - 1) - Lainé, Jean-Marc & Vukic, Bojan

New Bedford, Massachussetts, quelque part au milieu du XIXème siècle. Un jeune homme nommé Ishmael fait la rencontre d'un vieil auteur de roman dans une auberge du port baleinier. Cet écrivain s'appelle Herman Melville, célébrité de son époque. Il interroge le marin en mal d'aventures et les yeux plein de rêves.

Qu'est-ce qui pousse un matelot à vouloir fouler le pont d'un baleinier et à subir ses rudes conditions de travail pendant de long mois en mer ? Que vient chercher Melville dans une taverne pour simples marins ? Les deux hommes se renvoient leurs questions. Lorsque la discussion arrive sur le naufrage de l'Essex une trentaine d'années plus tôt, Ishmael se montre sceptique. 

Pourtant le vieil homme a une histoire à lui raconter. Un mythe, une légende parmi les marins. Depuis trente ans, Melville récolte chaque bribe d'information lâchée par un baleinier apeuré ou un blessé aux portes de la folie.

Cette histoire date de l'époque où le capitaine Achab était toujours entier.

Car le kraken s'éveille.

Il y a quelques années, Soleil a sorti la collection 1800 mêlant héros fameux du XIXème siècle et fantastique. Nous avons eu Sherlock Holmes et les vampires de Londres, Dorian Gray, Dracula ou encore Mister Hyde contre Frankenstein. Il manquait les petites histoires d'un conteur de la Nouvelle-Angleterre. Lovecraft.

Lainé et Vukic se sont emparés de son univers et de son ambiance pour écrire et dessiner ce double album Grands anciens. Ils y ont adjoint toute une série d'éléments plus ou moins contemporains aussi célèbres que Lovecraft et Cthulhu. Là, je pense que les auteurs ont eu la main un peu trop lourde. On y reviendra. Commençons par les meilleurs aspects des Grands anciens (pour les gérontophiles).

Sous la splendide couverture de Vukic (qui pousse sans hésiter à l'achat de cette BD), nous avons un ouvrage finement dessiné à l'ambiance pesante, à la fois captivante et pernicieuse. Les tons grisés et l'omniprésence du plafond nuageux fonctionnent justement. La mer, les navires, les créatures (qui n'existent pas) sont superbes et fourmillent de détails.

A côté du dessin, la narration est partagée entre la discussion Melville / Ishmael et l'époque d'Achab, ce qui amène deux lignes du temps et un rythme bienvenu dans le récit. Les dialogues et le travail sur la tension sont, de même, fort réussis.

Là où le bât blesse, scénaristiquement, c'est au niveau des mélanges. Cet album est un melting pot de plein de trucs sympathiques mais dont le mélange n'est pas maîtrisé. Moby Dick plus Cthulhu et ses potes, avec une pointe de Jules Verne, du steampunk et un peu de Shelley (j'en oublie sûrement), c'est trop. Et cela n'apporte rien, sinon un accroissement de la complexité (des personnages, des légendes, des niveaux de lecture) dans une bande dessinée où il n'y a pas assez de place, même sur deux volumes. 

Le résultat est finalement indigeste, incohérent et demande des efforts anormaux. Le style de narration, que j'ai tendance à prendre pour un bon point, une originalité, n'aide pas dans ce cas. D'ailleurs, on dirait que tous ces mélanges d'univers et toutes cette complexité stressent les personnages de Vukic car ils sont tout raides ! Et pourquoi le lettrage est-il aussi petit ? Les phylactères sont grands et vides avec des minuscules symboles en forme de lettres entre leurs bords !

En conclusion, ce premier tome des Grands anciens mérite votre curiosité si vous aimez l'époque et le travail de Lovecraft. Vous allez, toutefois, devoir vous accrocher pour profiter de cet album, passer outre son inutile embarras et le fan service bien lourd.