Les Chroniques de l'Imaginaire

Nez-de-Cuir - Dufaux, Jean & Terpant, Jacques

Les guerres napoléoniennes n'ont pas fait que des héros, lorsqu'elles se terminent, en 1814. La bravoure a conduit certains soldats à des actes héroïques, mais qui leur auront coûté cher. C'est le cas pour le jeune comte Roger de Tainchebraye, qui sera défiguré d'une balle et d'un coup de sabre contre les cosaques à Reims, le 13 mars 1814. Dorénavant, le jeune homme, qui n'a plus que deux trous en lieu et place du nez, aura le visage caché par un masque de cuir. Et pour Marchal, son supérieur hiérarchique, il y a encore de la chance derrière cette tragédie, au regard de ce qui est arrivé à de nombreux autres soldats...

C'est un an plus tard, une fois remis de ses terribles opérations, que Roger de Tainchebraye revient en Normandie, dans son château. Toute la population locale est invitée pour retrouver son comte. La curiosité l'emporte aussi, et le fait de voir ce que le comte est devenu. Celui-ci apparaît, masqué, et c'est de là que vient son surnom de Nez-de-Cuir. Il n'empêche que sa mère est bien contente de voir son fils de la sorte, lui qui peut encore jouir de chevauchées nocturnes avec Agramant, son fidèle destrier.

Et si on pourrait se demander comment le jeune comte va pouvoir continuer à plaire, il n'y a là nulle difficulté. Le masque de cuir apporte son lot de mystères, et ce ne sont pas les conquêtes qui manquent, le plus souvent déjà mariées, pour le comte. Des conquêtes qui sont autant de pieds de nez au destin qui aura laissé Roger défiguré. Mais c'est un matin que les certitudes du jeune comte volent un éclat, lorsque la jeune nièce d'une dernière conquête vient rechercher sa tante dans le lit de Roger. Une jeune créature au physique incroyable, que Roger ne peut qu'admirer.

Judith de Rieusses va ainsi devenir une véritable obsession pour le comte. Et les choses partent plutôt mal, puisque la jeune fille ne supporte pas les mœurs dissolues du masque de cuir. Il va falloir passer à autre chose, et véritablement changer, pour pouvoir emporter ce cœur...

Le romantisme et le romanesque sont au rendez-vous, dans cette nouvelle bande dessinée de Jean Dufaux (au scénario) et Jacques Terpant (au dessin). Les auteurs remettent le couvert ensemble avec les éditions Futuropolis, après le très beau Le chien de Dieu, paru chez le même éditeur en 2017. La BD était d'ailleurs une biographie romancée de la vie de Céline. Ici, il est toujours question de littérature, puisque Nez-de-Cuir est l'adaptation du roman de même nom de Jean de La Varende, sorti en 1936.

Ainsi, ce sont les dessins, fabuleux, de Jacques Terpant, qui frappent lorsqu'on ouvre ce one-shot. Aucune case n'est laissée au hasard : les dessins sont d'une grande finesse et les couleurs sont elles aussi à l'avenant. Si les personnages sont convaincants, il en est tout autant pour les nombreux décors, le plus souvent normands, qui parsèment ces pages. Les demeures sont magnifiques, les ambiances forestières le sont tout autant. Et que dire des costumes, qui nous font plonger en un instant dans ces lieux et dans cette époque ?

Jean Dufaux réussit lui aussi un sans-faute : les textes sont parfaitement adaptés au format bande dessinée, et le récit est lui aussi parfaitement maîtrisé. C'est avec plaisir qu'on se retrouve à lire des dialogues romanesques et on s'attache, sans aucune difficulté, à ce comte qui collectionne les conquêtes avant de porter toute son attention sur l'une d'entre elles. Le livre n'est pas sans apporter son lot de tragédie, qui lui donne encore une force supplémentaire.

Nez-de-Cuir est un excellent one-shot, magnifique à bien des égards. Il serait bien dommage de passer à côté...