C'est dans ce qui est aujourd'hui le département de l'Ain, non loin de la Suisse, plus précisément dans son château de Ferney, que l'on fait la rencontre de François-Marie Arouet, plus connu sous le nom de Voltaire. Nous sommes là en 1765, et le célèbre philosophe et écrivain ressent le besoin de passer son temps avec Monsieur Lassalle, un biographe qui aura à écrire la vie de Voltaire. Ce dernier raconte ainsi ses études chez les Jésuites, au collège Louis-Le-Grand. Une époque où les hommes d'église ne plaisantaient pas avec la discipline...
A l'époque, Voltaire essuie le désaccord de son père, lorsqu'il lui annonce son désir de devenir écrivain. Un avenir bien différent de celui que son père imaginait. Voltaire est ainsi forcé d'aller faire des études de droit, au collège des Grassins. Le vieil homme confesse alors qu'il fréquentait peu le collège, et bien plus la société du Temple, un singulier endroit, haut lieu de libertinage, souvent mené par l'abbé Servien, bien plus proche des visions de l'enfer que de celles du paradis. Ce sera bien vite l'occasion pour Voltaire de découvrir les plaisirs de la chair, en compagnie de dames pensionnaires de la maison.
Et puis, il y a cette affaire qui a lieu à Abbeville, en 1765. Une statue du Christ est abîmée, et des excréments humains sont retrouvés au niveau d'une tombe. A une époque où l'Eglise est très puissante, ces dégradations sont prises avec beaucoup de professionnalisme par le lieutenant criminel Duval. Bientôt, la population se met à parler, les langues se délient, et il apparaît qu'un groupe de deux à quatre adolescents ont été aperçus sur les lieux au moment des faits. Bientôt, les soupçons se portent vers le chevalier De La Barre, ainsi que sur deux de ses amis, Gaillard D'Etallonde et le jeune Moisnel. Ces deux derniers ne tarderont pas à quitter la France pour échapper au jugement...
De son côté, Voltaire évoque bien d'autres sujets avec son biographe, notamment son oeuvre, en tant qu'écrivain, mais aussi dans le domaine du théâtre. Il est aussi question de pamphlets, plus ou moins heureux, notamment envers le Régent, que Voltaire n'aura pas épargné. L'écrivain aura fait de la prison à La Bastille, pour cela... Monsieur Lassalle se rend d'ailleurs vite compte que le personnage dont il va écrire la biographie est particulièrement riche, complexe, parfois contradictoire, mais souvent très en avance sur son temps, notamment dans ses relations avec les femmes, et le regard totalement différent qu'il porte sur elles.
Voltaire n'aura de cesse de réhabiliter la mémoire du jeune chevalier De La Barre, qui aura été exécuté, suite aux événements d'Abbeville, alors que Paris n'a pas souhaité remettre en cause les décisions prises par le tribunal d'Abbeville. Il sera également important pour le philosophe de permettre aux deux autres accusés d'être innocentés, pour pouvoir revenir en France.
Jean-Michel Beuriot et Philippe Richelle font une parenthèse dans leur série Amours fragiles, et redonnent ici vie à un personnage incroyable, dont l'oeuvre est connue, avec, entre autres, le fameux Candide ou l'Optimisme, mais dont la vie n'est pas si connue que cela. Voltaire est un personnage qui est à la base de bien des polémiques, à une époque où on pouvait assez facilement risquer la condamnation à mort, pour des faits qui seraient presque anodins aujourd'hui. Le personnage a aussi beaucoup voyagé, souvent de manière forcée, justement, que ce soit en Angleterre, ou encore en Suisse. Des voyages qui l'auront marqué, forgé, et desquels il est revenu en France avec des idées neuves.
La narration imaginée par les auteurs est une franche réussite : on retrouve un Voltaire âgé qui parle de lui plus jeune, et on a des flashbacks qui rendent le récit vivant, ne le laissant pas dans un récit uniquement historique, qui pourrait paraître rébarbatif à certains lecteurs. Ici, bien au contraire, on a un livre qui se lit facilement, sans jamais être soporifique. Les personnages sont travaillés, intéressants, et les dialogues, souvent ciselés, montrent la vivacité d'esprit de celui qui avait un cerveau d'une taille démesurée dans la boîte crânienne...
Les dessins de Jean-Michel Beuriot sont superbes : l'auteur n'utilise pas la même technique que dans Amours fragiles, préférant la couleur directe sur ses dessins. Une technique qui réussit particulièrement à cet album : il n'y a qu'à jeter un œil à la très belle couverture pour s'en convaincre, en sachant que toutes les cases sont du même acabit. Le travail de recherche est à saluer également, que ce soit sur les personnages, les costumes ou les décors d'architecture, en intérieur ou en extérieur. On est en plein siècle des Lumières, et cela se ressent.
Un one-shot épique, où on découvre une vie incroyable, et des thèmes qui résonnent encore aujourd'hui, sur la religion, le féminisme, la justice, le droit de s'exprimer librement... Un livre qui est à conseiller au plus grand nombre !