Les Chroniques de l'Imaginaire

L'alchimie de la pierre - Sedia, Ekaterina

Mattie a eu du mal à convaincre son maître, le grand Mécanicien Loharric, de l'émanciper et de lui permettre d'exercer librement son art d'Alchimiste. Toutefois, elle sait n'être pas vraiment libre : Loharric a gardé la clé qui la maintient en vie, et s'est jusqu'à présent toujours refusé à la lui donner. Elle mène toutefois sa vie seule, à l'écart, et c'est à elle seule que les gargouilles vont faire appel pour lui demander de trouver un remède à la maladie de pétrification qui les touche de plus en plus.

En effet, cette cité-état a été créée, tirée de la pierre, par les gargouilles, dans des temps trop anciens pour que les humains, qui sont venus ensuite, s'en souviennent véritablement, même si les Moines de la pierre sont sensés nourrir les gargouilles. Elles sont toutefois toujours respectées, mais davantage comme une légende que comme des êtres vivants et souffrants. D'ailleurs, elles ont pour règle de ne pas intervenir dans les affaires de la cité, laquelle est dirigée par un Duc. Cette tutelle débonnaire se déroule sur fond de lutte d'influence entre les Mécaniciens et les Alchimistes, tandis que les tensions sociales dues à l'intensification de la mécanisation et de la prospection minière agitent un peuple de plus en plus mécontent.

Ce roman ne peut véritablement être "étiqueté" dans un seul genre. En effet, si l'ambiance générale et le décor, une ville-état, de surcroît créée par des gargouilles, avec un Duc à sa tête, sont plutôt de ceux que l'on trouve en fantasy, le personnage principal est un robot, personnage emblématique s'il en est de la SF. C'est là une des qualités de ce roman : l'ambiguïté. En effet, si le genre littéraire est difficile à définir, c'est aussi le cas des personnages, qui sont tous superbes et ambigus, avec des alliances qui se font et se défont là où on ne l'attendrait pas forcément, témoin les dissensions entre "Mécaniques". De façon assez typique, celui qui paraît finalement le plus humain, avec ce que cela comporte de loyauté, de douceur et de respect de la parole donnée, c'est l'automate, Mattie.

L'écriture est un vrai point fort du roman : elle est particulièrement belle, sans mots ni tournures exagérément compliqués, mais par des images fortes, et un ton doux-amer capable de communiquer une ambiance de fin de règne, de fin de cycle. Cette forme correspond bien au fond du roman, qui voit la cour ducale disparaître en même temps que les gargouilles, démiurges de la cité, sont irréversiblement modifiées.

L'histoire ne m'a pas paru être véritablement féministe, comme j'ai pu le voir ailleurs, mais plutôt une dénonciation de l'esclavage en général, et du rejet de la différence. Comme les ouvriers de la mine, Mattie lutte pour s'appartenir, sans que sa vie même dépende du bon vouloir d'autrui. Cela dit, cette dénonciation n'est pas clamée à son de trompe, mais intrinsèque aux descriptions de lieux, de conditions de vie, et c'est ce qui fait de ce joli roman une lecture très plaisante, qui reste en tête comme une chanson douce.