Je suis Madame. Rien ne me destinait à devenir l’annaliste de la Compagnie Noire, rien sauf la disparition de mon prédécesseur. Embauchée par le Prahbrindrah Drah de Taglios, la Compagnie Noire a combattu vaillamment les troupes des Maîtres d’Ombres sur les bords du fleuve Majeur. Profitant d’une première victoire, le capitaine, mon amant, a poussé ses hommes jusqu’à la cité de Dejagore qu’il a délivrée en quelques jours. Las, notre sortie de la forteresse pour riposter à la contre-attaque de l’armée des Maîtres d’Ombres nous a été fatale. Nos troupes mal entraînées ont cédé sous le nombre et le capitaine a été transpercé par une flèche malgré ses protections magiques.
Moi-même, j’ai peine à croire que j'en sois sortie indemne. J’ai eu la chance de disparaître aux yeux de mes ennemis lors d’un mouvement de foule. Profitant de la nuit, j’ai fui le champ de bataille et trouvé sur mon chemin d’autres soldats de mon propre camp en fuite eux aussi. Après avoir repris des forces, j’ai pris le commandement d’une petite troupe que j’ai organisée afin d’assurer notre retraite. Nous sommes restés vigilants, car les forces de l’armée des Maîtres d’Ombres sillonnaient les parages à la recherche de déserteurs pour les achever.
Trop sûre d’elle, une troupe de cavaliers ennemis a fait halte sans précaution près du bois où nous étions terrés. Profitant de la nuit, nous les avons attaqués et massacrés, portant leurs têtes décapitées sur nos lances comme un trophée. Voilà le sort que je réserve aux Maîtres d’Ombres et à leurs sbires, eux qui m’ont séparée de mon premier amour. Bientôt, je reviendrai avec une armée entraînée et ils subiront mon courroux…
Seule survivante de la Compagnie Noire, Madame s’autoproclame capitaine. Dévorée par sa haine des Maîtres d’Ombres qui sont pour certains ses anciens asservis, elle poursuit la mission pour laquelle la compagnie a été enrôlée afin d’assouvir sa vengeance. Ancienne impératrice du Nord, elle est expérimentée dans l’art du combat et fine politicienne. Elle a tôt fait de se constituer une petite armée redoutablement efficace et redoutée tant par les Maître d’Ombres que ses propres employeurs. Néanmoins, étant une femme dans un univers très machiste et dépossédée de ses talents magiques qui ne reviennent que très lentement, elle n’a qu’une autorité fragile. Pour asseoir son commandement, elle s’allie à une mystérieuse secte d’assassins, qui la sert avec dévotion autant qu’elle semble se servir d’elle.
Cette seconde partie de la guerre contre les Maîtres d’Ombres offre l’occasion de nous dépayser du classique ouvrage médiéval fantastique en approfondissant la contrée de Taglios et ses habitants, qui sont pour une fois pas affublés de noms communs. C’est un vrai voyage fortement inspiré de l’Inde de par les différentes ethnies qui la composent, de son système de castes et la prédominance des religions et des prêtres sur le pouvoir monarchique. Glen Cook conserve le style général de la série (alternant les annales personnelles de Madame et des chapitres consacrés aux autres protagonistes, relançant continuellement le suspens) tout en renouvelant l’écriture grâce à Madame. Si on perd l’ironie des récits de Toubib et les plaisanteries de Qu’un-Œil et Gobelin, enfermés dans Dejagore, on se délecte du style direct et des coups fourrés de l’ancienne impératrice. Car contrairement à Toubib, elle ne perd pas de temps avec les palabres. Ceux qui se mettent en travers de son chemin le paient au prix cher (de nombreux prêtres ne sont plus de ce monde pour en témoigner). Glen Cook lève timidement le voile sur les origines de la Compagnie Noire, qui sont loin d’être aussi chevaleresques qu’imaginé à la lecture des quatre premiers tomes des Annales de la Compagnie Noire.
Plus sombre que les précédents tomes, mais encore plus plaisant à lire avec le changement de narrateur, Rêves d’acier poursuit avec brio les aventures de la Compagnie Noire dans sa quête pour rallier la cité de Khatovar.