L'Indonésie représente pour beaucoup un territoire lointain, presque inatteignable, et nous n'en avons qu'une vision très parcellaire. C'est aussi un territoire qui comprend de nombreuses îles, dont l'île de Siberut, qui est la plus grande et la plus septentrionale de l'archipel des îles Mentawaï. C'est sur cette île que Tahnee Juguin a posé ses bagages à partir de 2011, pour partir à la rencontre de la tribu Mentawaï, qui a la particularité de vivre en totale communion avec la nature, au cœur de la jungle.
Mais même pour les Mentawaï, le temps est synonyme d'envahissement touristique, et de difficultés pour conserver la culture locale. Tani s'en est bien rendue compte, et elle a souhaité apporter un témoignage, d'où la naissance de ce livre, édité chez Futuropolis, qui est à mi-chemin entre un récit et un documentaire. Et pour cela, il aura fallu les crayons et l'art de Jean-Denis Pendanx, à qui on doit notamment des livres comme Tsunami ou encore Le Maître des crocodiles, également parus chez Futuropolis.
Ici, l'idée pour Tahnee Juguin est de se mettre également en scène, afin de raconter les coutumes de ces personnes, qui ont déjà eu à lutter dans les années 1960, lorsque l'Indonésie subissait la dictature de Soeharto, un dirigeant qui a marqué l'histoire de son pays par un développement de l'économie du pays, certes, mais également par un très fort autoritarisme, et une corruption importante, qui lui a valu d'être considéré comme l'homme le plus corrompu de la planète dans les années 80 et 90...
La principale force de l'ouvrage est donc cette volonté de laisser une trace, sur les coutumes, la langue, les diverses danses, les rites qui permettent de devenir des Sekerei. Pour cela, l'amitié de Tahnee Juguin avec deux autochtones nommés Aman Lepon et Teo Jartho s'est révélée essentielle. Un véritable pilier qui aura permis de respecter avec fidélité les habitudes de ce peuple. Le livre raconte d'ailleurs la modification qu'un film a eu à subir au niveau de la production, et on sent là tout l'énervement et l'agacement suscités par ce qui est considéré comme une petite traîtrise.
Et il aura bien sûr fallu les dessins, toujours aussi magnifiques, de Jean-Denis Pendanx, pour donner vie à tous ses personnages. Ces derniers sont hauts en couleurs, parfaitement attachants, et évoluent dans des couleurs absolument superbes, notamment dans ces décors de jungles verdoyantes qui nous feront tant voyager, en tant que lecteurs... Les costumes sont à l'avenant, ainsi que les danses et les positions, qui auront été validées par les Mentawaï eux-mêmes !
Le livre raconte aussi le modernisme qui vient frapper les jeunes générations, avec l'école qui prend le dessus, et la culture indonésienne qui vient donc se superposer, de façon indicible et inexorable, aux rites des Mentawaï. C'est assez triste, frappant en tout cas, et on se dit qu'il doit exister bien des indigènes de par le monde, qui feront le même constat. Mentawaï ! est en tout cas un livre remarquable, approuvé par Emmanuel Lepage, qui n'est pas en reste en ce qui concerne les bandes dessinées faisant suite à d'incroyables voyages. Gageons que d'autres occasions de voyager seront rapidement proposées chez cet éditeur !