Les Chroniques de l'Imaginaire

Lalumière, Claude

Mureliane : Merci d'avoir accepté cette interview pour Les Chroniques de l'Imaginaire. Hors micro, tu me disais que tu étais en Espagne et que tu avais des livres traduits en espagnol ?

Claude Lalumière : Oui, absolument. J'en ai un qui est paru en juillet. En anglais, c'est The Door to Lost Pages, et en espagnol c'est La puerta de Páginas perdidas. C'est le second chez Dokusou Ediciones. En juillet, j'étais encore en Espagne pour la sortie du livre, on a eu un événement à Celsius 232, à Avilés.

M : Ah, c'est chouette. Et tu as beaucoup de lecteurs en Espagne ?

CL : Beaucoup, ça s'agrandit, là, je crois, mais c'est très graduel.

M : Pour ma part, je connais de ton oeuvre les nouvelles qui sont parues dans Solaris...

CL : Et Alire a traduit mon premier recueil également.

M : D'accord, et ça, j'ai pas lu le recueil entier. Est-ce que tu as écrit des romans, aussi, ou est-ce que c'est seulement des nouvelles ?

CL : Y'a pas de réponse facile à ça. Parce que en fait ma forme préférée, c'est ce que j'appelle la mosaïque, c'est-à-dire un ensemble de nouvelles qui sont inter-reliées et qui forment un tout. Donc c'est un peu entre les deux, et justement le livre qui paraît ici, en Italie, c'est une mosaïque. Et le livre qui vient de paraître en Espagne, également. C'est deux livres différents. En fait, le livre qui paraît en Italie va paraître en Espagne soit l'an prochain, ou le suivant, et Alire a également les droits pour la traduction en français.

M : C'est... Les rêves...

CL : C'est Venera dreams.

M : Rêves vénériens, ou ... ? Vénusiens ?

CL : En anglais, c'est un jeu de mots qui ne se traduit pas bien parce que, en anglais, le S indique la 3e personne, et non la 2e. Donc Venera dreams veut dire en même temps Les rêves de Venera et Venera rêve, et c'est un jeu de mots qui ne se traduit pas bien dans les langues latines parce que le S indique la 2e personne donc c'est impossible de conserver cette nuance.

M : Et quel genre ce serait ? Est-ce que tu as un genre de prédilection ? Parce que dans ce que j'ai lu de toi... Ah oui, c'est encore une question embêtante !... (rires) personnellement, j'aurais dit entre fantastique, un petit peu horreur... Est-ce que ça te choque si je dis ça ?

CL : Non, mais c'est une petite portion de ce que je fais. Petite, non, c'est une portion importante, mais ça ne couvre pas toutes les facettes. Pour moi, le genre n'est pas vraiment important. Je considère que j'écris des nouvelles, et pour moi les préoccupations de dans quel genre ces nouvelles-là peuvent être cernées, ça, ça ne me concerne pas. Ça me concerne quand j'essaie de les vendre, parce que je me dis : j'ai écrit cette nouvelle-là, ça va bien aller dans telle antho, ou dans telle revue, etc, mais au départ je ne me considère pas un auteur de fantastique, un auteur de SF, un auteur de noir, un auteur de réalisme, de surréalisme, de... J'écris des nouvelles, sauf que j'ai une imagination assez bizarre, ce qui fait que souvent ça va dans la direction du genre, mais...

M : Justement, d'où vient ton inspiration ?

CL : La question que tous les écrivains détestent ! Non... C'est vraiment dur à dire, comme, par exemple pour Venera dreams, c'est surtout Venise. La première image m'est venue en 2006, sur le vaporetto à Venise, il y a une scène qui m'est venue et je croyais à l'époque que ce serait le début d'une nouvelle, et le plus que je travaillais sur la nouvelle, le plus qu'elle me combattait, et j'étais incapable de la terminer. Puis je me suis rendu compte que c'était plus gros qu'une nouvelle. Et éventuellement, c'est devenu un livre. Mais c'est un processus très, très long et très, très complexe.

M : Est-ce que tu en dirais plus sur ce processus, justement ?

CL : Pour ce livre-là, en particulier, en premier je croyais que l'histoire que je voulais raconter était cette première histoire. Et lorsque je me suis rendu compte que ce n'était pas seulement une nouvelle, j'ai cru que c'était cette histoire-là qui devait être agrandie au format d'un roman. Mais ça ne fonctionnait pas vraiment. Et à un moment donné, j'étais rendu avec 3, 4 et même 5 nouvelles que j'avais commencées qui se reliaient au projet, mais j'arrivais pas à faire quoi que ce soit fonctionner. A un moment donné, j'ai eu une bourse pour écrire ce livre-là, du Conseil des Arts au Canada, et j'ai pris une retraite d'une semaine, j'ai loué une petite maison en Gaspésie sans téléphone, sans Internet, sans quoi que ce soit, sur la côte un peu plus sauvage du Saint-Laurent, près de l'Atlantique, là. Et j'ai écrit pendant une semaine, et c'est pendant cette retraite-là que j'ai écrit le premier texte complet de Venera dreams et il m'est venu tout d'un coup. C'était 8000 mots et je l'ai écrit en une jetée. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que le livre ne pouvait pas être linéaire, que ce serait une mosaïque de diverses perspectives qui se contrediraient, et que ça formerait une image difficile à décrire mais qu'on pourrait avoir une intuition de ce que ça voulait dire. Ça m'a pris plusieurs années, mais finalement je me suis rendu à un point où c'était clair que j'avais terminé tous les textes dont j'avais besoin pour former le tout. Les assembler dans un ordre qui était sensé, ça m'a pris plusieurs mois, justement parce que ce n'était pas linéaire le moindrement et il y avait certaines choses que je voulais révéler avant d'autres, mais les textes et mes plans ne s'accordaient pas toujours. En fin de compte, j'ai trouvé un ordre qui me satisfaisait énormément.

M : Et c'est typique de ta façon de fonctionner ?

CL : En ce moment ,je travaille sur trois mosaïques différentes.

M : Sur trois mondes qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre ?

CL : Et même dans trois genres complètement différents : un c'est du noir, l'autre c'est une uchronie d'espionnage, et l'autre c'est des super-héros post-modernes, ou plutôt, pas post-modernes mais méta-fictionnels. Et donc c'est trois genres complètement différents et je saute de l'un à l'autre selon ce que j'ai envie de faire. Et entre ça, je fais aussi quelques nouvelles qui ne sont pas reliées à quoi que ce soit.

M : Tu as des moments pour écrire, préférentiellement ? Des heures ? Des rituels ?

CL : Des rituels, non, mais le matin c'est souvent préférable : avant que le monde réel puisse intervenir, ça c'est mon moment préféré. Mais je ne suis pas le genre d'écrivain qui écrit tous les jours. J'écris... Parfois je vais écrire pendant dix heures tous les jours pendant trois semaines ; parfois j'écrirai pas pendant deux mois, c'est imprévisible.

M : Ça fait longtemps que tu écris ? Comment ça a commencé ?

CL : J'étais libraire dans les années 90. J'avais deux librairies à Montréal, je les ai vendues en 98, pour écrire. J'ai commencé à publier en 2002 et depuis ce temps-là j'ai publié plus de cent nouvelles et cinq livres. Voilà.

M : Et tu écris en anglais ?

CL : Oui. Exclusivement en anglais. Je suis incapable d'écrire en français. Une fois, justement pour un texte de la série de Venera dreams, Joël Champetier, qui était le rédacteur en chef de Solaris à l'époque, avant sa très triste mort, était d'accord avec moi que pour ce texte-là, à cause de certains problème spécifiques qu'il posait, c'était préférable que ce soit moi qui fasse la traduction, mais il a tellement détesté la traduction que Pascal Raud l'a refaite entièrement.

M : A ce point ?!

CL : Ouais, ouais... Le français, c'est ma langue première, quoique je n'aie aucun souvenir de ne pas parler anglais. J'ai toujours été bilingue. Et même si mes parents sont francophones, je suis allé à l'école en français, ma langue interne c'est l'anglais. La langue qui chante, pour moi, c'est l'anglais. C'est difficile d'écrire de la fiction si la langue ne chante pas. Je rêve en anglais, je vis surtout en anglais, mais principalement je rêve en anglais. Je pense en anglais, je rêve en anglais. Lorsque mon imagination est active, qu'est-ce qui me vient c'est en anglais, ça ne me vient jamais en français. Jamais, jamais, jamais. C'est pas que je le force, c'est que ça ne me vient jamais en français. Même je trouve ça impensable.

M : Oui, j'entends bien : tu penses en anglais !

CL : Absolument ! Là, je pense en français parce qu'on parle en français, là, mais si je suis laissé à moi-même, quand...

M : Oui, le discours intérieur, il est en anglais.

CL : Si je divague, ça va être entièrement en anglais.

M : Et tes influences ? Plutôt anglophones, ou plutôt francophones ?

CL : Oh non, il y a quelques auteurs... ! J'aime Jacques Sternberg, beaucoup. En français, du côté influence, je dirais surtout Contes glacés : ce livre-là a eu une influence importante. J.G. Ballard est mon auteur préféré...

M : Oui, ça ne m'étonne pas, quelque part. (rires)

CL : A part ça, ils sont nombreux, là, mais je dirais que Ballard est le plus important. De très loin.

M : Qui est aussi un auteur difficilement classable, et qui a touché à tous les styles. Y compris dans le même texte. Si on pense à Crash...

CL : Ouais, ouais. C'est mon roman préféré.

M : Même celui-là, il est à la lisière, on ne sait pas trop bien qu'en faire, de ce truc : c'est de l'anticipation, c'est de l'horreur, c'est du noir...

CL : J'aime l'art qui nous laisse dans un... l'art dans tous les médias, que ce soit le cinéma, la prose, la bande dessinée, ou la peinture, ou quoi que ce soit qui nous laisse avec un sentiment de ne pas vraiment savoir quoi on pense ou quoi on ressent mais ça continue à travailler en dedans de nous, sans qu'on le sache. J'aime quand je trouve des œuvres et des artistes qui sont dans cette veine-là.

M : Tu dois aimer Christopher Priest, alors ?

CL : Ouuui. Il est moins...

M : Il y a moins de sensualité chez Priest.

CL : Exactement ! T'as lu quand même assez de mes textes, je crois. Je suis un sensualiste, et Priest est peut-être un peu trop mental. Pourtant, si on pense à Ballard, c'est très intelligent, mais il y a un côté tactile, et même du viscéral, même si c'est souvent raconté d'une façon très méthodique, très précise, mais il y a un côté animal et viscéral quand même. Priest, pour moi c'est un peu trop dans la tête, et moi il faut que ça soit ici [pointe au ventre]. Comme David Lynch, et ça c'est une autre grande influence pour moi, pas en prose, là, mais dans ses techniques de storytelling, il y a vraiment quelque chose qui vient me chercher. Quand j'ai vu Blue Velvet pour la première fois, c'était une révélation. Et mon film préféré c'est Mulholland Drive. De tous les films, c'est mon film préféré. Pour moi c'est son plus grand film, et même peut-être le plus grand film de l'histoire du cinéma. (rires)

M : Tout simplement !

CL : Tout simplement. (rires)

M : Et là, donc, tu es invité à la convention italienne, Strani Mondi, à Milan. C'est la première fois que tu es invité à une convention, ici en Italie ?

CL : Non, c'est... L'an dernier, j'étais invité d'honneur à DeepCon à Fiuggi, donc c'est la deuxième fois. Et pour correspondre avec DeepCon, Future Fiction, de Francesco Verso, ont publié l'an dernier un petit volume bilingue en anglais et en italien de trois de mes nouvelles, sous le titre Altre persone/Other persons. Donc j'ai maintenant un livre et demi en italien. (rires)

M : Et tu connais, toi, les auteurs italiens ?

CL : Non, pas vraiment.

M : Et qu'est-ce que tu lis, toi ? A part Ballard...

CL : Eh bien ces jours-ci surtout, je lis des auteurs que j'ai manqués. Récemment, j'ai presque fini de lire tout de Patricia Highsmith, pas tout, j'ai pas tout à fait terminé, j'ai lu tout Ian Fleming avant ça, qui m'a surpris : c'était en fait très bien.

M : C'est bien écrit, oui.

CL : Il y avait quelques problèmes, mais en général c'était vraiment vraiment bien, surtout le premier, et les nouvelles étaient splendides. Et j'ai récemment commencé la série Parker, de Donald Westlake, sous le nom de Richard Stark - je crois que j'ai lu les six premiers -, et je regarde un peu d'autres choses. Je suis en train de lire actuellement le dernier volume de l'auteur britannique qui vient de mourir, Philip Kerr, il est mort il y a un an et demi. Sa grande série, c'est d'un détective allemand qui n'était pas un nazi mais qui était à la police pendant l'ère nazie, mais lui était une personne très très éthique, et c'est des livres très complexes au niveau éthique, ils sont vraiment, vraiment splendides.

M : Ah oui, je l'ai lu ! Son détective s'appelle Gunther... quelque chose.

CL : C'est ça. Bernie Gunther. Et je suis en train de lire le tout dernier, qui en fait revient au passé, sa première année comme détective, dans les années vingt. Ou non, au début des années trente. Et c'est intéressant de le voir comme un jeune homme ! (rires)

M : Oui, après qu'on sait tout ce qui lui est arrivé...

CL : Oui, parce que la série va jusque dans les années soixante, et tout lui arrive, donc... J'ai lu presque tous ses livres. Il y a peut-être un ou deux romans que j'ai pas lus. Même ses autres livres hors de la série, là. A part ça... Je lis un peu moins, ces jours-ci, que je lisais, parce que c'est un équilibre étrange. Quand on écrit beaucoup, c'est important de lire comme... pour s'alimenter, mais en même temps on ne veut pas être contaminé. En règle générale, quand je travaille dans un genre spécifique ou dans un ton un peu plus spécifique, j'essaie de lire surtout en-dehors de ça. Mais en ce moment, j'ai des projets tellement différents que c'est un peu difficile de trouver quoi lire que je ne considérerais pas une interférence.

M : Oui, si tu écris une uchronie d'espionnage, Ian Fleming est à exclure, etc. J'ai une dernière question : la France, est-ce que tu y es venu ?

CL : Très peu. Je suis allé à Paris deux ou trois fois, ça dépend comment on compte, et je suis allé cette année, après Avilés, parce que je suis allé à Dublin pour la WorldCon, et j'avais comme trois semaines entre les deux, et ça me semblait un peu ridicule de retourner au Canda puis de revenir, donc j'ai fait... Après Avilés, je suis allé au Pays Basque, parce que j'étais déjà dans le Nord de l'Espagne, et du Pays Basque je suis allé à Bordeaux, ensuite à Lille et de Lille je suis allé à Londres, et de Londres à Dublin. Et également la première fois que je suis venu en France en 2006, à part de Paris j'ai fait Nice également. Donc j'ai Nice, Paris, Bordeaux et Lille. Je crois c'est tout. Et j'ai passé un bref après-midi à Montpellier lorsque j'avais un changement de train de Nice à Barcelone en 2006, et j'avais comme trois heures et demi entre mes trains, et je suis allé en ville un petit peu. Voilà.

M : Je pensais plutôt aux Utopiales, ou aux Imaginales, les grandes manifestations du genre en France.

CL : Très souvent, mes voyages sont centrés sur mes invitations. Et je suis invité en Europe très fréquemment, en Serbie, en Norvège, en Italie, en Espagne, et tous mes voyages cernent un peu autour de là où je suis invité, mais la France ne m'a jamais invité. Si on m'invite, je viendrai ! (rires)

M : Oui, d'ailleurs, tu es traduit dans combien de langues ?

CL : Six... Huit, je crois. Sept ou huit. Il faudrait que je regarde, là, mais... Français, espagnol, italien, polonais, hongrois, serbe, roumain... Peut-être que j'en oublie une...

M : Russe ?

CL : Le russe, c'est une antho que j'ai dirigée. C'est pas un de mes textes comme tel, c'est une antho que j'ai dirigée. Donc, oui j'ai un livre en Russie, là, mais c'est pas ma fiction. Donc, sept ou huit, dépendant de comment on compte. Ouais, c'est ça.

M : Donc, beaucoup l'ex Europe de l'Est, finalement... ça s'est fait comme ça ?

CL : Non, c'est presque équivalent : la Roumanie, la Hongrie, la Serbie, trois... et la Pologne, quatre. Mais sauf la Serbie où j'ai un livre, le reste c'est seulement des nouvelles, OK. Tandis que, en Espagne et en Italie, j'ai des livres. Et j'ai d'autres livres à venir, en fait. J'ai au moins un autre livre qui s'en vient, ici en Italie, mais je ne sais pas si je suis en liberté de pouvoir en parler, et j'ai au moins un autre livre en Espagne, le même que celui qui va paraître ici. Donc en Espagne et en Italie, je crois que j'ai un futur qui va continuer, avec des livres, tandis que les autres places... j'ai 3 nouvelles en hongrois, une nouvelle en polonais, une nouvelle en roumain, et j'ai un livre en Serbie. Voilà.

M : Mais le fait est que le français est un cas un peu particulier, parce que Alire est très mal diffusé en France.

CL : Ouais, très mal, je sais, et ça c'est un problème. Et le pire, je suis traduit par quelqu'un qui vient de France !

M : Elisabeth Vonarburg ?

CL : Non. Mon premier livre oui, mais non je suis traduit par Pascal Raud, qui vient d'ici. Mais c'est vrai : les livres québécois ne sont pas si bien distribués en France, et pour moi c'est plus naturel d'être traduit au Québec, parce que... j'ai déjà des problèmes avec le langage quand on me traduit en français parce que mon français naturel est loin du français qu'on parle en ce moment et pour moi, déjà, au Québec on fait trop de concessions au français parisien. Et si ça serait juste de moi, ça serait dans une langue, dans un langage un peu différent. Et souvent j'ai des opinions sur quel mot on doit utiliser, parce que pour moi il faut jamais que ce soit un mot qu'un Montréalais trouverait étranger.

M : Ah ouais ! Et on n'a pas du tout les mêmes tournures, les même mots...

CL : Non, non...

M : Je suis désolée... Mais c'est deux évolutions de langue différentes...

CL : Et moi, surtout... mon montréalais à moi, et je ne m'attends pas à ce que ce soit traduit dans cette langue-là exactement, mais moi j'ai un montréalais de classe ouvrière très, très fort, et mon français québécois est très, très loin du français officiel au Québec, qui est promulgué par l'Office de la Langue Française, et pour moi beaucoup trop européen. Beaucoup trop.

M : Et ça ça fait problème en France, c'est sûr. Mais je pense que le problème c'est d'abord la diffusion d'Alire.

CL : Absolument. Je suis sûr qu'il y avait aucune librairie en France qui vendait mon livre lorsqu'il était disponible.

M : Je ne me souviens pas l'avoir lu. Et je suis attentive aux livres d'Alire, en plus !

CL : Il est encore disponible, mais je suis sûr que quand il était neuf, là, je suis sûr qu'il y a personne en France qui l'avait. Je n'ai aucun doute qu'aucune librairie n'a eu mon livre. Même si je trouve que la saison où il est sorti Alire a fait une bonne promotion. C'était leur quinzième anniversaire, cette saison-là, et la couverture de mon livre était la couverture de leur quinzième anniversaire. C'était cette illustration-là. Et donc j'ai trouvé qu'ils ont vraiment essayé de faire une très, très bonne promotion. Mais les nouvelles, en français, c'est difficile.

M : En plus.

CL : C'est déjà difficile dans presque toutes les langues, mais je pense qu'en français c'est encore plus difficile. Et c'est fait pire par la façon qu'on utilise la langue : en librairie, la section de Fiction ne s'appelle pas Fiction, elle s'appelle Romans. Mais si on n'écrit pas des romans, ça va où ?

M : Euh... Non, mais pas tout le temps : on peut dire Littérature, aussi.

CL : Oui, mais en règle générale presque toutes les librairies disent Romans. Pas Fiction. Romans. Et déjà, ça donne une attitude un peu inconsciente, c'est pas voulu, c'est pas un complot ou quelque chose qui est fait comme ça. Mais les mots qu'on utilise changent notre perception et nos attentes. Et si le mot Romans est utilisé pour vouloir dire Fiction, dans la tête des francophones, si ce n'est pas un roman, ben c'est quoi ? Ce n'est rien. Et donc en français c'est particulièrement difficile. Tandis qu'en anglais la section des fictions c'est Fiction. C'est pas Novels, c'est Fiction. Et donc c'est déjà un peu plus ouvert, c'est déjà... ça peut être beaucoup de choses. Si c'est juste Fiction, ça peut vouloir dire beaucoup de choses très différentes. Parce que si on dit Romans, c'est tellement spécifique.

M : Moi, je suis une très mauvaise lectrice de nouvelles, parce que j'aime le long, ça me prend du temps d'entrer dans un univers, je veux me rentabiliser le temps que j'ai passé à y entrer, et que ça s'arrête pas tout de suite comme ça. (rires)

CL : Mais tu fais les chroniques pour Solaris !

M : En fait, je triche là parce qu'il y a l'effet écho : j'aime beaucoup retrouver des auteurs, qu'est-ce que j'ai lu ? Ah oui, il y a quelque chose, dans le style, dans l'univers... voilà, c'est comme ça que j'arrive à tricher avec mes a priori. Mais oui, on a du mal avec les nouvelles. Je le sais, parce que j'échange avec d'autres lecteurs, sur des forums, et en général il y en a un ou deux qui sont très accros à la nouvelle, et les autres...

CL : C'est ça. Et ça c'est une attitude que je ne comprends pas. Moi en tant que lecteur j'ai toujours aimé les deux. Même souvent, lorsque j'achetais des livres quand j'étais très jeune... Quand j'ai commencé à acheter des livres, j'allais dans les grandes librairies au centre ville à Montréal, pour moi ma façon de découvrir des nouveaux auteurs, c'était d'acheter des anthos. Et j'ai acheté plein d'anthos. Et pour moi, c'était toujours fascinant de découvrir tellement de voix différentes. Et surtout j'ai toujours aimé les anthos thématiques parce que c'est toujours le fun pour moi de voir à quel point des auteurs différents peuvent attaquer le même sujet de façon totalement différente. Et donc pour moi ça a toujours été une partie intégrale de ce que je lisais. Et mes premières amours, c'était Sherlock Holmes, par Conan Doyle, et c'était des nouvelles. Les romans sont pas fantastiques. Il y en a trois ou quatre, ils sont pas particulièrement bons, tandis que les nouvelles sont splendides.

M : Tu parlais d'inspiration ?

CL : Oui, quand j'étais jeune, une série d'anthos qui m'a beaucoup inspiré, qui s'appelait Weird Heroes, qui était dirigée par Byron Preiss. C'est là que j'ai découvert Philip José Farmer, qui est une autre grande inspiration, mais surtout Weird Heroes, la grande idée c'était de reprendre la thématique des Pulp Heroes des années 30, mais de mettre ça à jour pour les années 70, avec des préoccupations plus modernes, avec des attitudes plus modernes, plus ouvertes, moins... Et c'était... Et le titre Weird Heroes était bien, parce que c'était souvent très, très bizarre, et c'était comme beaucoup de ce que je fais : c'était entre les genres. Pas tout ce qui a été publié chez Weird Heroes a été un succès, mais c'était toujours intéressant. On sentait une recherche. Et pour moi, souvent, la recherche est plus importante que le résultat.. Comme si on prend Philip José Farmer, qui est un autre auteur qui est très important pour moi... Pour moi, Farmer écrivait au-delà de ses capacités.

M : Comment ça ?

CL : Parce que je trouve que souvent Farmer, ses meilleurs livres, on sent que souvent ils sont pas exactement, ils sont pas vraiment... que ça fonctionne pas exactement, que c'est proche, mais que Farmer se foutait de s'il était capable ou non, il poussait continuellement, il était... C'était une quête continuelle, et de simplement faire ce dont il savait qu'il était déjà capable, ça servait à rien pour lui, comme artiste. Il fallait qu'il pousse continuellement. Et une des conséquences de pousser continuellement, c'est peut-être que rien qu'on fait est exactement un succès. Parce que...

M : Il s'agit d'aller au-delà.

CL : Et Farmer poussait toujours au-delà, ce qui fait que souvent, il y a presque rien qui a fait que je trouve que "ah oui, ça c'est une oeuvre vraiment excellente, c'est achevé, comme ça devait être". Parce que c'est un auteur qui écrivait très rapidement. Donc quand il finissait quelque chose, il passait au prochain projet, mais c'était cette attitude de "peu importe si je suis capable ou non, c'est pas grave, je vais le faire quand même, puis je vais le faire au meilleur que je suis capable". Et c'est un courage que je trouvais admirable. Et il avait aussi une imagination qui n'avait peur de rien. Et ça c'est aussi une qualité que je trouve très grande.