Les Chroniques de l'Imaginaire

Strani Mondi 2019 - Conférences

Le second jour, les conférences qui m'intéressaient étaient celles du matin, et toutes deux se sont retrouvées très orientées vers le changement climatique.

Le présent invisible : comment la littérature soigne l'aveuglement climatique, avec Fabio Deotto (écrivain et journaliste scientifique) et Chiara Reali (écrivaine et traductrice), modéré par Giorgio Rafaelli.
C'est Fabio Deotto qui commence, en témoignant de ce qu'il a constaté des conséquences actuelles du changement climatique aux Maldives, où une partie des habitants vit littéralement les pieds dans l'eau, sur le cercle arctique, où les populations autochtones peinent à survivre à la disparition d'une partie de leurs ressources traditionnelles, et aux USA, notamment à Miami et en Louisiane, où des morceaux de terrain ont déjà été "mangés" par le Mississippi.
L'accélération du futur pourrait entraîner un changement du rôle de l'écrivain.e de SF. En effet, le public italien n'est pas habitué à croire les climatologues, ni d'ailleurs les scientifiques en général, sur parole. De surcroît, l'effet de non-immédiateté du phénomène en Italie amplifie le problème. Et même en se fiant aux prévisions catastrophiques, cela n'active pas la partie émotionnelle du cerveau, seulement sa part rationnelle, or ce sont nos émotions qui nous font agir. Des travaux actuels en psychologie exposent que le seul moyen de nous faire percevoir émotionnellement le changement climatique, c'est les histoires. Et en effet, celles-ci ont toujours fait évoluer l'humanité, jusqu'à la Climate Fiction actuelle, très peu représentée en Italie, si on excepte justement La cité de l'orque, de Sam J. Miller, traduit par Chiara Reali.
L'intérêt pour la SF serait de faire un effort pour sortir de l'alternative utopie / dystopie actuelle pour décrire la phase de transition. Il s'agirait d'imaginer une transition, un changement qui permettrait d'éviter la catastrophe. A suivi un long débat avec le public sur la quantité de connaissances scientifiques nécessaires pour écrire un tel roman, sachant que la rapidité du changement, et donc la péremption rapide des informations scientifiques à son propos, est un problème.

Le futur de l'Italie, avec Tullio Avoledo (écrivain), Roberto Paura (futurologue), Elisabetta Di Minico (essayiste), Elena Di Fazio et Giulia Abbate (éditrices), modéré par Silvio Sosio.
Après une introduction hyper-pessimiste (selon ses propres termes) du modérateur, Roberto Paura prend le relais à propos du déclin démographique du pays, qui perd de sa population chaque année depuis 2016. Le problème d'une population qui vieillit, c'est que le pays devient de plus en plus réfractaire au changement, juste au moment où il aurait au contraire besoin d'une adaptabilité accrue. D'autre part, il faudrait 2,1 enfants par femme pour assurer le maintien des systèmes sociaux actuels. Or la seule solution pour y arriver, a priori, serait d'ouvrir grand la porte aux migrants et réfugiés, mais cela mènerait sans doute à une explosion des comportements racistes et xénophobes. Le principal problème est l'inertie du système actuel.
Elisabetta Di Minico décrit la dystopie comme le résultat d'une tendance de la société actuelle à attaquer le corps, celui du différent, à commencer par celui des femmes. Bien sûr, elle le rapproche de La servante écarlate, de Margaret Atwood. D'après elle, l'annulation de la connaissance est le plus sûr chemin vers la dystopie.
Tullio Avoledo quant à lui se dit convaincu que l'humanité trouvera un moyen de s'en sortir, surtout du fait que les écrivain.e.s de SF sont de plus en plus écouté.e.s.
Giulia Abbate expose son désaccord à ce propos. En effet, elle a créé en 2016, avec Elena Di Fazio, une collection orientée vers les sciences sociales, ouverte aux romans dans lesquels l'engagement prime l'aspect d'évasion, et les romans de ce type ont été confrontés à une réaction antagoniste du milieu de la SF italienne, plus volontiers portée sur l'évasion.

Très naïvement sans doute, je ne m'attendais pas à me trouver aussi dépaysée, à ce que le monde de la SF notamment soit aussi différent de celui que je fréquente depuis de nombreuses années. Car en effet si les autres genres de l'imaginaire m'ont semblé relativement similaires à ceux qu'ils sont en France - le fantastique m'a semblé "peser" davantage, mais ce peut être ponctuel -, les différences en ce qui concerne la SF m'ont paru dépasser de beaucoup les similarités. Pour commencer, j'en suis venue à soupçonner que ce que les congressistes désignaient sous le terme "Science-Fiction" aurait été nommé Hard-Science en France. Des congressistes, à qui j'ai posé la question, me l'ont confirmé, et l'ont expliqué par le poids de la première collection italienne, qui s'était chargée de traduire principalement les auteurs de l'âge d'or américain. D'après mes interlocuteurs, pour une bonne part du lectorat italien, tout ce qui a été publié après les années 70 est sans intérêt. Par ailleurs, les romans traduits le sont principalement de l'anglais, surtout américain... même s'il est question de rééditer la traduction italienne de Barjavel...
Enfin, et ceci n'est sûrement pas sans lien avec cela, il m'a semblé que ce sont les maisons d'édition qui font l'essentiel du travail de promotion des littératures de l'imaginaire. Etant donné que les librairies indépendantes sont encore plus rares en Italie qu'en France, et qu'au moins deux grandes chaînes de librairies sont des boutiques d'éditeurs, cela explique que les littératures de l'imaginaire, surtout pour les livres édités par de petites structures, plus ou moins récentes, soient très peu représentées dans les rayons des librairies, et quasi seulement sous la forme de romans traduits. La convention à laquelle j'ai assisté avait été organisée par des maisons d'édition, et la librairie, traditionnelle dans ce genre de manifestation, était organisée par éditeur, chacun gérant ses ventes et ses encaissements. Les habitués des Imaginales ou des Utopiales comprendront certainement mon dépaysement...
Ce qui en revanche m'a paru familier, c'est la passion du public pour les discussions, la presse autour des stands de livres, et lors des séances de dédicace. Et c'est sans doute là l'essentiel. En tout cas, je prévois de renouveler l'expérience, car cela m'intéressera de mesurer l'évolution de ce monde qui me paraît possiblement en train de changer de façon fort intéressante.