Sigouin a toujours suivi son grand frère Yannick, son partner de toujours, mais celui-ci vient de lui jouer un sale tour, et de plus il s'est engagé dans la gang de l'un des mafieux locaux. Sigouin ne veut rien avoir à faire avec ces gens dangereux, et de plus il sait devoir changer de vie s'il veut garder Françoise, sa petite amie. Bien sûr, il est toujours à la recherche de petites combines pour gagner sa vie, mais plus rien de réellement illégal, promis, juré.
Enfin... jusqu'au jour où Hortensia, une antiquaire avec laquelle il a fait affaire plusieurs fois, lui demande s'il serait intéressé à l'aider à fournir à un de ses clients, richissime, le squelette d'un saint tout récemment acquis en Europe, et dûment authentifié. La mariée est trop belle pour que Sigouin lui résiste. Au début, tout va bien. Il est vrai que le plan qu'il a mis sur pied pour importer leur saint est intelligent, et fonctionne comme sur des roulettes, au sens où il n'a pas d'ennui avec les douanes et autre organisme officiel. En revanche, à peine entre-t'il en possession du squelette que celui-ci est volé par des individus masqués.
Sigouin ayant néanmoins reconnu l'un d'entre eux, il est enlevé par la bande, et assiste contre son gré à une cérémonie magique qui tourne très mal pour l'invocatrice, brûlée vive en même temps que le grimoire qu'elle utilisait. Mais Sigouin a également vu que le squelette s'était animé, ce qui pourrait le rendre encore plus précieux pour le client d'Hortensia. Et quoi qu'il en soit, il s'est engagé à fournir le saint. Aussi se donne-t'il beaucoup de mal pour retrouver la jeune femme à l’œil de pirate qui l'a emporté à la fin de la cérémonie.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette histoire est très originale, comme on peut s'en douter à la lecture du résumé !
C'est très plaisant de voir l'évolution de l'auteur, depuis son premier roman Une fêlure au flanc du monde. Il n'a rien perdu de ses qualités : les personnages en général sont soignés, crédibles, même si Hortensia m'a paru un peu falote. En revanche, les frères Sigouin, et leur relation, paraissent remarquablement familiers, notamment leur façon de faire front ensemble face à un ennemi commun, ou de se protéger l'un l'autre en cas de menace, ce qui ne les empêche pas de se voler dans les plumes à la première occasion. Remarquablement familiers, mais décrits à merveille, donc, et ce n'est que l'exemple le plus évident de la façon dont l'auteur démontre savoir construire un personnage et le faire vivre.
C'est intéressant de voir la façon dont Eric Gauthier entremêle habilement les éléments fantastiques (le squelette, l'entité à trois yeux) à une réalité qui pourrait être la nôtre. D'autant qu'il utilise ces liens pour montrer de quelle façon son personnage principal change, petit à petit, confronté à l'inexplicable : Sigouin garde ses qualités d'origine, l'astuce, mais aussi la capacité d'empathie (quand il devine assez justement les envies et besoins de Laurentius), et une sorte d'innocence, mais grandit jusqu'à traiter d'égal à égal avec un criminel dangereux, et renoncer à un rêve de fuite enfantine. En ce sens, on pourrait dire qu'il s'agit là d'un roman initiatique, ou pour le moins d'apprentissage.
Autre entremêlement intelligemment réalisé, celui du sérieux et de l'humour. Dans la meilleure tradition du réalisme magique, cette histoire totalement farfelue traite avec sérieux des sujets difficiles de la foi, de l'origine des saints, du besoin de croire, des rêves qu'on réalise ou qu'on abandonne, des conséquences de nos actes, et des drogues comme béquilles pour qui ne sait pas vers qui ou quoi d'autre se tourner. Avec sérieux, mais sans jamais ennuyer son lecteur, qui peut aussi choisir de se laisser embarquer dans une sorte de road movie majoritairement citadin, plein de rebondissements, aux personnages suffisamment variés et exotiques pour le lecteur français pour être une découverte très plaisante.
En somme, un très bon moment de lecture que ce roman atypique, et qui donnera sûrement envie à ceux qui ne le connaîtraient pas encore de découvrir cet auteur québécois. Et la couverture est non seulement superbement kitsch, mais aussi parfaitement appropriée... Qu'on se le dise !