Les Chroniques de l'Imaginaire

Strani Mondi 2019 - Rencontres publiques

J'ai pris les notes suivantes lors d'une rencontre publique avec Anders Fager et Claude Lalumière, modérée par Andrea Vaccaro.

Anders Fager, qui vient de publier en Italie Culti Svedesi, qui me semble correspondre au recueil La reine en jaune, commence par se présenter comme un Suédois de cinquante-quatre ans, vivant à Stockholm, un tiers joueur, un tiers officier d'infanterie, un tiers écrivain, dont la couleur préférée est le noir. Il écrit professionnellement depuis dix ans. Son premier livre publié a eu un tel succès qu'il l'a propulsé au troisième rang des auteurs d'horreur en Suède, ce qui lui permet de vivre de sa plume. A la question de savoir pourquoi il s'est inspiré de l'oeuvre de Lovecraft, il répond "parce que c'est coooool !". En fait, il a transposé Lovecraft dans l'époque actuelle, notamment en y ajoutant du sexe, qui est peut-être ce que nous avons de plus effrayant. Il dit que Lovecraft est un fantastique créateur de monstres, de plus libres de droits, et qu'on peut ajouter ce qu'on veut à son oeuvre.
Claude Lalumière rappelle que l'écrivain de Providence a tiré beaucoup d'inspiration de l'oeuvre de Lord Dunsany, bien oublié à l'heure actuelle. Il expose son lien personnel à l'Italie, dont l'origine remonte à une table ronde en 2016 à l'EuroCon de Barcelone, sur la question de l'existence ou pas d'une SF méditerranéenne, à laquelle il participait avec Francesco Verso, de Future Editions. Ils ont sympathisé, et après un recueil bilingue, il publie cette année un recueil de nouvelles traduites en italien.
Anders Fager dit que dans son recueil on parle de cultes, et d'adoration, et que toutes ces histoires sont vécues depuis l'intérieur de ces cultes, non pas du point de vue d'un observateur extérieur qui découvrirait quelque chose de caché. C'est intéressant, dit-il, d'écrire sur des gens fous et méchants car le lecteur les trouve intéressants et se trouve de leur côté avant de découvrir leur nature. Il en donne pour exemple Le voyage de Grand-mère, où l'histoire évolue jusqu'à ce qu'on se rende compte que les protagonistes sont des monstres. C'est un très bon truc, car il manipule l'esprit du lecteur. Notre esprit veut des explications. Nous essayons d'apprivoiser les choses horribles, et celles qui nous font peur, en en faisant des peluches, par exemple.
Claude Lalumière insiste sur l'absence de description des dieux, dans L'objet de la vénération. Son premier thème de prédilection serait l'évolution cherchée par le personnage, et le second serait la religion, et notamment la grande Déesse, le lien entre les deux étant la sensualité qui fait évoluer. Ses personnages sont souvent isolés, perdus. Ils peuvent se trouver en commençant par se perdre. A la question de savoir s'il fait des liens avec son origine canadienne, il répond qu'il a été décrit comme un "Canadien méditerranéen".

----------

Les notes suivantes ont été prises lors de la rencontre publique avec Jasper Fforde, présenté et traduit (en italien) par Chiara Reali.

L'auteur se présente comme écrivain du Royaume-Uni, et plus précisément Gallois. Il est publié depuis vingt ans, mais il a commencé sa vie professionnelle dans l'industrie cinématographique. Il a fallu treize ans et six romans pour que l'un d'eux soit accepté par un éditeur. Et c'était L'affaire Jane Eyre, qui était le quatrième livre qu'il avait écrit. C'est grâce aux bibliothécaires et aux professeurs d'anglais que le roman a trouvé son public, jusqu'à se retrouver à la cinquième position de la liste des best-sellers du New York Times !
L'auteur aimait bien l'idée de ce voyage à l'intérieur des livres, de pouvoir rencontrer les personnages, et changer des choses, qui est le concept central de toute la série Thursday Next. Il pensait que ce concept était attirant pour les lecteurs, qui ont souvent l'impression d'être dans le livre qu'ils lisent, et c'est la différence qu'il fait avec les films, où le spectateur voit ce qui arrive à d'autres, là où le lecteur a l'impression que c'est à lui que les choses arrivent. C'est pour cela qu'il estime que la lecture est importante, surtout pour les enfants, étant un bon moyen pour développer l'empathie, qui manque terriblement dans le monde actuel, ce qu'il attribue au fait que les gens lisent moins.
A l'origine, L'affaire Jane Eyre était prévu comme un standalone, mais un jour, son éditeur lui a demandé s'il y aurait une suite, il a répondu "oui, bien sûr !". A la question du titre. Jasper Fforde a répondu "Lost in a good book" (titre original, signifiant "perdu dans un bon livre" de Délivrez-moi !). A propos du sujet, l'auteur a dit que le monde des livres avait une force de police où travaillait Thursday. Cela lui a permis de s'apercevoir qu'il aimait écrire en se fixant un défi, que c'était sa méthode d'écriture. Il appelle cela "narrative dare" (ce que je traduis par "défi narratif"). Et le défi narratif de toute la série Thursday Next est "qu'est-ce qui arrive quand vous pouvez voyager dans les livres ?". Le livre suivant est le développement logique de l'idée : si des gens peuvent voyager dans les livres, pourquoi le font-ils ? comment le font-ils ? qu'est-ce qu'on y trouve ? les gens qui sont dans les livres en sont-ils conscients ? comment écrit-on les livres ? comment entraîne-t'on les personnages à en être ? Et il a joué avec toutes ces questions dans les sept tomes de la série. Même s'il y a beaucoup de satire dans ses livres, leurs aspects sérieux ne sont pas à négliger pour autant. L'affaire Jane Eyre est un hymne aux livres, et à la lecture, et pour lui le sujet de toute la série est la joie de lire et d'écrire.
Il a écrit beaucoup d'autres romans, tous à partir d'un défi narratif. Celui qu'il a publié l'an dernier au Royaume-Uni s'appelle Early riser. Le défi narratif était d'écrire un thriller dans un monde où les humains auraient toujours hiberné trois mois par an, avec toutes les conséquences que cela entraîne sur l'économie, et sur la société en général. L'action se déroule au Pays de Galles, durant un seul hiver durant lequel son personnage principal, Charlie Worthing, est chargé de veiller sur ses compatriotes endormis.
Pour La tyrannie de l'arc-en-ciel, le défi narratif est une société ordonnée selon les couleurs que l'on peut voir. Il avait envisagé au départ d'écrire encore un, voire deux romans dans le même univers, pour y renoncer étant donné l'accueil tiède réservé à ce roman. Toutefois, comme son public est grandissant, et que la question d'une suite lui est régulièrement posée, il pense l'écrire, un jour, mais il y a au moins trois livres qui passeront avant cela.
C'est une façon très spéculative de voir l'écriture, où l'auteur se fixe à lui-même une barre très haute, et vise à la passer. Ce qu'il aime dans cette méthode du défi narratif, c'est qu'il n'existe aucune idée, quelque ridicule qu'elle soit, qui ne puisse déboucher sur un livre, si on y travaille assez, et c'est ce qu'il aime dans l'écriture, et dans l'écriture de fantasy.
A la question du genre de ses livres, Fforde répond qu'il l'ignore, et qu'il ne s'en soucie pas. Ce qui l'intéresse c'est de suivre le défi narratif où il l'entraîne, et d'écrire des livres qui aillent dans des directions inattendues, et pas ennuyeuses. Pour lui, de toute façon la notion de "genre" appartient au marketing et à la publicité.
Il écrit en "voyant" ce qui se passe, et en "entendant" les dialogues, et en l'écrivant ensuite, mais il est très attentif à laisser autant de place que possible à l'imagination du lecteur, car cela rend l'histoire plus réelle pour le lecteur, qui de ce fait la construit en grande partie lui-même à partir des indices donnés par l'auteur. En fait, il écrit très long, pour couper très court ensuite.
Il ne considère pas que sa première carrière dans l'industrie cinématographique l'ait aidé à construire un roman, mais ce qui lui a vraiment été utile de cette expérience, c'est l'adaptabilité nécessaire pour faire chaque jour quelque chose de différent, travailler avec des personnes drôles et intelligentes et voyager dans le monde entier.
Pour qui veut écrire, il faut vraiment avoir en arrière-plan une bonne connaissance des gens et des choses, par exemple en travaillant de nuit dans un McDonald en centre ville, où tout peut se passer. L'idée de départ d'un livre n'est pas importante en soi, au contraire de la façon dont on l'écrit.