Tool se sent face à son plus grand défi : construire la paix, alors qu'il n'a auprès de lui pour ce faire que des enfants soldats qui n'ont jamais connu que la guerre, et que lui-même a été conçu dans ce but. Mais en fait il se trompe, car il vient d'être repéré par son concepteur, son ennemi, son dieu, le général Caroa, de Mercier. Or, celui-ci veut à toute force détruire sa création d'autant plus dangereuse qu'elle est rebelle, et n'hésite pas à détruire totalement la Cité et le palais où se trouvait Tool en y envoyant six missiles.
Mais non seulement Tool n'est pas mort, mais il réussit, littéralement in extremis pour tout le monde, à rejoindre le Raker, le bateau à bord duquel se trouve sa vieille amie Mahlia, et qui se dirige vers la ville de Seascape. Il sait être un danger pour qui le côtoie, n'ayant aucun doute sur l'origine de l'attaque qu'il a subie, mais Mahlia refuse à toute force de le laisser à ses seules faibles forces. Il est vrai qu'elle ignore sa plus grande faiblesse : la profondeur du conditionnement qu'il a subi.
Roman d'initiation camouflé en livre d'action, cette histoire, qui développe encore le monde et les personnages déjà fréquentés par les lecteurs des Ferrailleurs des mers et des Cités englouties, permet de mesurer les changements survenus dans l'intervalle, d'une part dans l'équilibre global du monde, mais aussi dans les personnages eux-mêmes, que lesdits lecteurs seront heureux de retrouver. C'est d'autant plus agréable que l'auteur sait à merveille doser la familiarité et l'étrangeté, ce qui fait que le passage du temps et de la vie des uns et des autres est perceptible, les rendant d'autant plus crédibles.
L'aspect "roman d'initiation" vient principalement du "long chemin vers la liberté" de Tool, qui passe lentement du statut d'outil (l'un des sens du mot en anglais) à celui d'être véritablement indépendant. La description de l'esclavage, du regard de l'esclave sur son maître, et de ce dernier sur lui, jusqu'au niveau involontaire, sinon inconscient, est vraiment très détaillée et finement rendue, notamment dans la relation entre Tool et Nita.
Le monde imaginé par Paolo Bacigalupi devient - malheureusement ! - de plus en plus crédible, d'une part sur le plan, physique, des conséquences du changement climatique, mais aussi sur l'aspect sociétal de cette évolution, avec la quasi-disparition des instances gouvernementales, et la prise du pouvoir effectif par de grandes entreprises. Avec cette trilogie, l'auteur de La fille automate confirme son statut de grand écrivain, d'autant que son monde, certes dystopique, ne l'est pas de façon exagérée. C'est d'ailleurs ce qui rend sa Climate Fiction si effrayante : elle est plausible.