Les Chroniques de l'Imaginaire

Les Quatre Époques de la Science-Fiction au Québec (Galaxies SF - 61)

Ce numéro de Galaxies est consacré à la science-fiction francophone du Canada. 

Jean-Louis Trudel propose un découpage de son histoire en quatre parties : le XIXe siècle ancré dans la contestation de l’anglais, la première moitié du XXe siècle, peu féconde, la période Vonarburg de 1960 à 2008 avec le vrai développement de la production de SF francophone et, enfin, la période récente marquée par le retrait de la génération Vonarburg au profit de nouveaux auteurs. Il nous fait ensuite part de son interview d’Yves Ménard, auteur de SF prolifique. Ce dernier revient notamment sur sa trajectoire d’écrivain et les auteurs qui l’ont marqué mais nous dévoile également ses différents projets en anglais et en français. Cette question de langue est abordée plus en détail par l’article suivant. Écrit par Émilie Laramée, elle-même traductrice, ce texte se penche sur la traduction des textes SF en français à travers l’exemple de Rich Larson, dont l’œuvre revêt toujours plusieurs niveaux de sens. L'une des nouvelles de cet auteur est d'ailleurs présente dans ce numéro. 

Deux nouvelles écrites par des auteurs canadiens complètent ce dossier.

Les olives de 4H3SS0-L24A, de Dave Côté
Saaf, un chercheur, obtient l’autorisation de visiter la planète 4H3SS0-L24A. Il sera là-bas en séjour de recherche et soumis à des normes très strictes en termes de comportement social. Et il compte bien en profiter pour savourer les olives de la planète, dont on dit la saveur inimitable. Son voyage prend un tournant inattendu lorsqu’il semble que les données dont il dispose sur la planète soient inexactes.
Ce texte plein d’humour mêle habilement SF, fantasy et passion culinaire. Sans trop en dire, la chute donnerait presque envie d’en lire plus sur Saaf et sur son amour dévorant des olives.

Tinkerbelles, de Michelle Laframboise
Sur Mars, Billy, un gorille augmenté, accueille des touristes venus voir un essaim de Tinkerbelles, mélange d’abeilles et de libellules pollinisant les plantes.
Cette nouvelle pose de nombreuses questions : futures manipulations génétiques de l’embryon pour se conformer aux envies des parents et stéréotypes de la société… mais aussi d’espèces entières avec la création de chimères, disparition des abeilles, colonisation spatiale… La narration du point de vue de Billy permet de poser un regard extérieur sur les composantes de ce futur possible.

Ce numéro contient également neuf nouvelles hors dossier.

Cristal, de Betty Biedermann – Prix Alain le Bussy 
En 2026, un étrange suc blanc envahit le monde. Il recouvre la végétation et piège la faune en son sein. La population est progressivement évacuée vers les dernières zones intactes. Lorsque le suc commence à envahir son jardin, une jeune femme décide de rester dans sa maison pour y attendre la fin.
J’ai beaucoup aimé cette nouvelle. L’auteure adopte un style d’écriture agréable et sait conférer une atmosphère particulière au récit, entre l’angoisse de l’invasion inexorable du suc et la sérénité presque onirique de la protagoniste.

Nouer des liens, de Ken Liu
Un chercheur américain se rend dans un village de Birmanie n’ayant que très peu de contacts avec l’extérieur et avec la technologie moderne.
Très bien écrite, cette nouvelle narrée à deux voix est glaçante de réalisme. Elle plaira à tous les amateurs de l’auteur.

Baignade en eau vive, d’Antoine Lencou
La rencontre d’un robot poète avec une petite fille à une époque où les machines sont devenues conscientes… mais manquent parfois d’esprit d’initiative.
La nouvelle alterne les passages sur l’automate en charge d’une piscine pour déchets radioactifs et ceux sur l’enquête qui a suivi sa rencontre avec l’enfant. Le rythme est très bien maîtrisé et on est très vite frappé par le drame qui se joue là.

Décrassage, de Rich Larson 
Un homme et une femme se rendent dans une clinique un peu spéciale pour faire disparaître un souvenir indésirable.
Ce texte prend principalement la forme d’une conversation ou plutôt d’une dispute entre les deux protagonistes, dont l’un tente d’exorciser le souvenir en question et l’autre de l’oblitérer. Cette mise en scène offre un dilemme moral intéressant car, si l’on peut comprendre les différents arguments évoqués, il est impossible pour le lecteur – du moins pour moi – d’abonder totalement dans un sens ou dans l’autre. 

Futurisme, de Marc Elder (pseudonyme de Marcel Tendron)
La pollution générée par le progrès et la science est venue à bout du dernier arbre du Luxembourg, les autres ayant tous été remplacés par des copies de synthèse aux fonctionnalités variées.
Cette nouvelle écrite dans l’entre-deux-guerres aborde avec beaucoup de dérision et de sarcasme l’impact des activités humaines sur l’écologie mais aussi et surtout les tentatives novatrices pour compenser cet impact. En ce sens, on pourrait dire qu’elle est malheureusement criante d’actualité.

Le Grand Jeu, de Paul Hanost 
Un Sharka, sorte d’homme-félin, nommé Sabsou doit délivrer un message énigmatique pour son maître immortel, Dereng.
Cette nouvelle révèle comment certains Sharkas tirent les ficelles du conflit avec les humains pour leur propre distraction. Elle offre en outre une plongée intéressante dans l’œuvre de Paul Hanost, qui compte plusieurs romans et nouvelles se déroulant dans ce même univers : ce texte dévoile juste ce qu’il faut pour avoir envie de se plonger dans ces autres textes.

Ah, les garçons ! de Hugo van Gaert (pseudonyme de Pierre Gévart)
L’introduction de la mixité dans l’équipage d’un vaisseau spatial est loin de plaire à tout le monde et une rencontre impromptue avec une nouvelle espèce d’humanoïdes n’est pas pour arranger les choses.
Ce texte, rédigé à la mémoire de l’anthologiste québécois Martin Lessard, se joue des stéréotypes. Si l’idée n’est pas novatrice, l’exécution pleine d’humour rend cette nouvelle très plaisante à lire et ce jusqu’à son dénouement improbable.

Fondation, de Sébastien Danielo
Un couple prend les commandes d’un vaisseau spatial empli de survivants fuyant leur planète dévastée. Ils vont devoir faire face à des difficultés imprévues.
Les trois parties de cette nouvelle nous annoncent chacune une fin mais nous amènent en réalité chacune plus près d’un certain commencement. J’ai beaucoup aimé la manière dont la nouvelle se dévoile progressivement, nous intriguant chaque fois plus. L’emphase sur les liens familiaux rend en outre les personnages attachants.

Le Cid, de Renaud Bernard
Le commandant principal de la flotte décède. Diègue, le commandant vieillissant du vaisseau Arias, se présente à sa succession. Pendant ce temps, son second Rodrigue s’inquiète de la disparition d’un patrouilleur.
Ce texte de fiction est en réalité une pièce de théâtre écrite dans le cadre du prix Aristophane 2019, qui récompense les pièces de science-fiction réunissant entre trois et cinq personnages et jouables en moins d’une heure. La forme même de l’œuvre, tantôt en vers, tantôt en prose, apporte un peu d’exotisme au numéro. Un texte fin et divertissant.

Dans ce numéro, la section Musique et SF rédigée par Jean-Michel Calvez, évoque la question des œuvres à vocation et destination spatiales : musique de films, d’entraînement militaire ou, plus insolite encore, de planétarium. La carrière de John Seerie y est plus particulièrement évoquée, musicien dont j’ignorais tout avant de lire cet article.

Jean-Michel Archaimbaut s’intéresse lui au contexte de parution française de la série allemande Perry Rhodan créée par K.H. Scheer et Clark Darlton. Je ne connaissais pas la série mais son histoire éditoriale donne envie d’en apprendre un peu plus.

Dans la section suivante, Pierre Stolze partage ses impressions à la lecture d’œuvres mainstream incorporant des éléments de science-fiction. J’en retiens surtout que les auteurs de littérature blanche ont encore des progrès à faire en la matière. Toutefois, la Mer monte d’Aude Le Corff nous est conseillé pour son portrait crédible de Paris en 2043.

Des notes de lecture sur les parutions récentes, de romans, séries, bandes-dessinées ainsi que les appels à contributions pour les prix Alain Le Bussy, Aristophane et Pépin 2020 clôturent ce numéro.